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dans une partie de l’édifice, environnée de ses pierreries, cum clenodiis suis, espèce de princesse d’un conte de fées historique siégeant au milieu de sa progéniture. La couronne de Hongrie avait ses appartemens privés où nul ne pénétrait. Nuit et jour, dans son antichambre, veillaient en se promenant de long en large deux officiers de sa garde particulière, laquelle se composait de soixante-quatre hommes d’élite ayant leur caserne vis-à-vis de l’aile qu’elle habitait. Les fenêtres de sa chambre étaient murées, et l’air ne s’en renouvelait qu’au moyen de trois trous pratiqués dans la pierre, unique ouverture dont le regard des profanes se pût servir pour contempler de loin le mystérieux tabernacle. Quatre dignitaires possédaient seuls la clé de la porte, close à triple verrou, de l’impénétrable sanctuaire : c’étaient l’archevêque primat, l’archiduc palatin et les deux grands officiers de la couronne, choisis d’ordinaire parmi les plus puissans magnats du royaume. Dans cette chambre était la couronne, précieusement emprisonnée dans un étui que renfermait un coffre de fer scellé des cinq sceaux du roi, du primat, du palatin et des deux grands officiers. À chaque nouveau couronnement, ses gardes-du-corps venaient la prendre et la conduire à Presbourg ; puis, après qu’elle avait touché le roi au front et la reine à l’épaule droite, elle regagnait sa mystérieuse et sombre cellule avec le même cérémonial. Jamais d’ailleurs princesse romanesque n’eut une si aventureuse existence que cette couronne de Hongrie. D’Arpad à Kossuth, le nombre de ses escapades et de ses disparitions ne saurait se compter. Elle a été retenue en otage, par un empereur d’Allemagne, elle a séjourné en Transylvanie des années entières au château d’un noble ravisseur ; puis des brigands l’ont enlevée, puis elle a couru la poste en Bohème, et Joseph II, au grand mécontentement des Hongrois, a voulu l’avoir à Vienne. Enfin elle est retournée, sous l’empereur Léopold II, à son antique résidence d’Ofen, et son voyage, à cette époque, fut un véritable triomphe. Fille de Byzance et de Rome[1], elle est comme un symbole de cette nationalité madgyare placée ainsi au nord des deux péninsules italienne et grecque et participant à la fois par sa situation géographique, sa politique, ses mœurs, sa religion, de l’Orient et de l’Occident. Il va sans dire que l’errante princesse devait profiter des événemens de 1848 pour disparaître de nouveau, et le dictateur Kossuth ne pouvait manquer de prêter des mains à son évasion. Dans quel sanctuaire ou dans quelle échoppe repose aujourd’hui l’objet sacré ? Quel grand-prêtre Joad ou quel Juif immonde tient à cette heure en sa possession l’auguste relique ? Je doute qu’on le sache

  1. La partie formant le bandeau provient de l’empereur Ducas, qui en fit don au roi de Hongrie Geysa Ier vers l’an 1076, tandis que les arceaux de la partie supérieure arrondie en globe se composent des fragmens de la couronne que le pape Sylvestre envoya vers l’an 1,000 à saint Etienne.