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classique. Aminte (la tante) engage le plus naturellement du monde Lucile et Valère (le frère et la sœur) à ne pas se trouver si souvent ensemble, crainte de donner prise à la médisance. Telle qu’elle est, cette pièce se recommande d’ailleurs par la rapidité du dialogue et par une versification très facile où nous avons cru reconnaître la manière de J.-S. Milscent, homme de couleur élevé en France. Le dénoûment dénote en outre une certaine entente de l’effet scénique. Lucile et Valère, qui aiment chacun de son côté, ont affaire à deux beaux-pères qui exigent une dot double de celle que possèdent le frère et la sœur. Tout paraît finalement s’arranger ; mais, à la lecture des deux contrats, on découvre que, par un mutuel dévouement et à l’insu l’un de l’autre, Valère a donné son bien à Lucile, qui a donné le sien à Valère. Les deux mariages seraient donc de nouveau rompus, si ce frère et cette sœur modèles n’avaient une tante modèle qui sacrifie son propre mariage pour parfaire les deux dots. Tel est « le prix de la vertu ; » il n’y a que celle de la tante qui ne soit pas récompensée.

L’autre pièce est une espèce de vaudeville fantastique, intitulé le Physicien. Ce physicien a découvert une combinaison de fluides telle que toute personne soumise à leur action est irrésistiblement poussée à dévoiler ses pensées les plus secrètes, et les consultans arrivent en foule deux par deux, car chacun espère bien retenir, au moment voulu, sa langue, tout en profitant des involontaires aveux de son compagnon. Ceci est un trait de bonne observation : rien n’est au fond plus crédule que la fourberie, plus confiant dans sa propre invulnérabilité et dans l’inhabileté des autres. Un ménage heureux, qui a assisté à cette revue des hypocrisies sociales, renonce sagement à tenter l’épreuve pour son compte, et voilà qui frise encore de bien près la bonne comédie. Le dernier de nos faiseurs eût certainement tiré un meilleur parti de cette donnée. Il n’eût pas commis la faute de mettre presque toujours en présence deux hypocrisies de même nature, ce qui ne laisse rien à l’imprévu ; il les aurait toutes groupées autour d’une action commune ; il aurait à coup sûr cherché quelque amusant imbroglio dans le va-et-vient calculé des personnages entre la vie réelle et le milieu magique du cabinet de vérité ; — mais, parmi ces faiseurs, y en a-t-il beaucoup qui auraient trouvé d’instinct les deux traits dont je parle ? On m’assure que le Physicien n’a jamais été représenté à Port-au-Prince, ce qui s’explique par la hardiesse de la première scène. C’est une conversation-prologue entre Gelanor, le physicien, et François, son valet.


« FRANÇOIS. — Vous avez beau dire, monsieur, je ne vois aucune différence entre la physique, la magie ou la sorcellerie.

« GELANOR. — La physique, je te le répète, est la science de la nature ; elle s’appuie sur des vérités surprenantes, parce qu’elles échappent à la pénétration