Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du naturel qu’il ne s’en doutait. C’est bien avec cette profusion d’adjectifs et cette solennité de métaphores que s’exprimait et que s’exprime encore à chaque fête nationale le beau-diseur nègre, l’officier philosophe. — Raillerie à part, et en tenant compte du temps et du lieu, il y avait un incontestable sentiment de l’effet théâtral dans ces fanfares qui tombaient inopinément en pleine prose et venaient ajouter le frémissement des cuivres au frémissement des cœurs. Dès qu’il est convenablement surexcité, l’enthousiasme des personnages (autre nuance heureuse) déborde de nouveau en patois créole, et l’un d’eux notamment, Vié (vieux) Bayacou[1], défile un très amusant chapelet de dictons et d’exclamations nègres, qu’il interrompt assez mal à propos pour chanter cette monstruosité :

Chantons la gloire
Du royal-Dahomet ;
Sans nul grimoire
Il porte son mousquet,
Et dans l’onde noire
Plonge tout marmouset.

Quelques couplets de cette facture sont consacrés à l’énumération des qualités militaires du royal-Dahomet. Voici maintenant pour ses qualités politiques et sociales :

Trône et patrie,
Voilà tout son refrain ;
Lois, industrie,
C’est son unique frein :
Et sa batterie
Est, ma foi, tout son train.


Façon délicate et gaie de dire que le royal-dahomet n’avait pour vêtement que sa giberne et sa carabine. La philosophie pratique de ces guerriers et leur dédain forcé des superfluités de la vie apparaissent encore dans les couplets suivans, qui pressentaient en outre, dans ses différentes ramifications, la grande industrie haïtienne de notre époque, — le bananier et les bananes :

En temps de guerre,
Ces robustes guerriers
Dans leur carrière
Offrent des flibustiers
Ayant pour chaumière
L’ombre du bananier,

  1. En d’autres termes, le grand-papa Réveille-Matin. — Bayacou était le nom aborigène et est devenu le nom patois de l’étoile du berger. On l’emploie aussi comme adjectif dans le sens de matinal. Chaque matin, les Almaviva du pays vont nouer conversation sur les portes par cette phrase : « Mademoiselle, vous êtes bien bayacou ! — Pas plus bayacou que vous, » répondent en minaudant les Rosine.