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REVUE DES DEUX MONDES.

Partis de la Grande-Bretagne et de la confédération germanique, les émigrans se dirigent tantôt vers les États-Unis, tantôt vers les possessions lointaines de l’Angleterre ; les uns vont se confondre avec une nationalité déjà puissante, avec une population déjà nombreuse et habituée aux formes du gouvernement libre ; les autres recherchent de préférence les pays neufs, les territoires à peine peuplés, les colonies qui s’élèvent. Il y a dès-lors une sorte de concurrence entre les États-Unis, qui attirent dans leur sein l’excédant de l’Europe, et la Grande-Bretagne, qui veut au contraire réserver aux colonies les bras et les forces productives de ses émigrans. Quels sont, de part et d’autre, les résultats de ces efforts si légitimes ? Comment l’Amérique du Nord parvient-elle à entretenir, à développer l’importation qui peuple et enrichit l’immense étendue de son sol, et quelle influence le nombre toujours croissant des habitans d’origine étrangère peut-il exercer, dès à présent ou dans l’avenir, sur les destinées politiques ou sociales de la république de Washington ? Par quels procédés d’administration, au prix de quels sacrifices, le gouvernement anglais a-t-il su exploiter l’émigration au profit de son empire colonial, et favoriser, dans ses possessions les plus éloignées, l’arrivée, l’installation, le travail de tant de familles que la misère et le chômage chassent de la métropole ? Telles sont les principales questions que doit soulever successivement une étude sur le grave problème de l’émigration européenne. C’est aux États-Unis que l’excédant de la population du vieux monde se porte avec le plus d’entraînement ; c’est sur ce terrain que nous suivrons d’abord l’émigration dans ses deux périodes les plus laborieuses, la période du départ et celle de l’installation. Dans les colonies anglaises, c’est l’émigration régularisée, disciplinée en quelque sorte, que nous aurons ensuite à étudier.


I. — L’EMIGRATION ANGLAISE.

L’Angleterre est aujourd’hui le principal point de départ de l’émigration européenne. On a calculé que, de 1825 à 1850, elle a envoyé au-delà de l’Atlantique 2,566,000 émigrans ; sur ce nombre, 1,483,000 se sont dirigés vers les ports des États-Unis, en dépit de tous les efforts tentés par le gouvernement pour attirer dans les colonies anglaises, notamment en Australie, l’excédant de la population métropolitaine. En 1850, sur une émigration totale de 280,849 habitans, 223,078, soit 80 pour 100, se sont embarqués pour les états de l’Union.

La condition sociale de l’Irlande, le paupérisme de l’Angleterre et l’esprit d’entreprise de la race anglo-saxonne expliquent le rang que la Grande-Bretagne occupe dans l’ensemble de l’émigration. La proximité relative de New-York, de Boston, de Philadelphie, les séduisantes perspectives qu’offre un pays où la main-d’œuvre est recherchée, où la propriété s’acquiert facilement, où la liberté individuelle est garantie, enfin la similitude des mœurs et du langage, tels sont les motifs qui engagent les émigrans à se diriger vers les États-Unis, préférablement aux autres points du globe.

Le gouvernement anglais favorise l’émigration. Il n’en fut pas toujours ainsi. On trouve, dans le recueil de l’ancienne législation, des actes de 1719, de 1750, de 1782, qui prohibaient sévèrement la sortie des ouvriers, ainsi que