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le lac Mœris, dont ce Français distingué a déterminé l’emplacement comme il a reconnu les restes des immenses digues qui en retenaient les eaux artificiellement rassemblées. A une grande distance du Fayoum, au-dessus de la seconde cataracte, M. Lepsius a retrouvé d’autres traces du souverain qui, avant l’invasion des barbares appelés les pasteurs, avait construit ces œuvres gigantesques. En même temps, à l’autre extrémité de son empire, l’on marquait sur les rochers du Nil la hauteur à laquelle les eaux s’étaient élevées dans telle ou telle année du règne de ce Pharaon. M. Lepsius a découvert ces marques précieuses, qui montrent qu’à cette époque reculée le Nil s’élevait à vingt-quatre pieds plus haut qu’à présent.

Venant après Champollion, qui a ouvert le champ aux études hiéroglyphiques et qui, dans son voyage d’Égypte, n’avait pu épuiser du premier coup les recherches, M. Lepsius a dû porter surtout son attention sur ce qu’avait laissé à faire son illustre devancier. Ainsi il a visité dans les environs des pyramides quatre-vingt-deux tombeaux, dont la plupart remontent aux rois qui ont élevé ces gigantesques monumens, de sorte que les scènes peintes sur leurs parois et les inscriptions qui les accompagnent nous donnent quelque idée de la vie sociale du peuple égyptien il y a au moins cinq mille ans. Outre de nombreux dessins, M. Lepsius a rapporté trois de ces tombeaux; il a fait une étude soignée des pyramides, qui l’a conduit à une opinion entièrement neuve sur leur construction. M. Lepsius, après avoir visité les curieuses et merveilleuses ruines de Thèbes et avoir remonté le Nil jusqu’à Korosko, un peu avant la seconde cataracte, quitta le fleuve, qui en cet endroit décrit un arc assez considérable, et, coupant à travers le désert de Nubie, alla visiter les monumens du Nil supérieur, ces monumens que l’on a crus les plus anciens, quand on faisait descendre la civilisation avec le Nil de l’Ethiopie dans l’Égypte, et qui sont placés aujourd’hui parmi les plus récens. Ainsi les temples de Naga, où l’on avait cru reconnaître un âge très ancien de l’architecture éthiopienne, sont du temps des Romains, et l’un d’eux a eu pour architecte un Romain. Les pyramides de Méroë étaient, disait-on, les types antiques reproduits plus tard dans les plaines de Memphis; mais les ornemens et les vases trouvés dans le mur de la chambre d’entrée de l’une d’elles par Ferlini, et que j’ai eu occasion de voir il y a une douzaine d’années en Italie, montrent évidemment l’influence du goût grec. Ces fameuses pyramides de Méroë sont, en effet, contemporaines de la domination grecque en Égypte. M. Lepsius a constaté qu’au temps où elles ont été construites on ne connaissait plus le sens des hiéroglyphes, et qu’on les plaçait au hasard en guise de décoration, comme ces évêques du moyen-âge qui, ne voyant dans les lettres arabes qu’un pur ornement, faisaient broder sur leur chappe : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. « En définitive, et c’est la conclusion de M. Lepsius, l’art éthiopien est un rameau tardif et secondaire de l’art égyptien; devant ces faits tombent beaucoup de déclamations et de systèmes.

Revenue à Thèbes, l’expédition prussienne que dirigeait M. Lepsius y établit ses quartiers. On dessine, on copie des inscriptions, on prend des empreintes, on fait des fouilles. L’histoire de l’ancienne Égypte est là, à partir de la douzième dynastie, et les ruines de Karnac, où se trouvent juxtaposés des débris qui diffèrent de deux mille ans, suffisent presque à raconter cette histoire. De Thèbes, M. Lepsius va visiter les inscriptions hiéroglyphiques du mont