Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1005

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout cela est certainement du plus haut intérêt, et M. Finlay l’a très nettement fait toucher. En abordant ensuite isolément chacune des principautés latines ou grecques, l’historien poursuit avec intelligence son enquête sur l’état des populations. Jusqu’à l’arrivée des Francs, le Bas-Empire avait été, comme Venise, une société essentiellement basée sur le commerce, qui fournissait de quoi payer les frais du pouvoir central, de ses armées, de ses juges et de ses fonctionnaires. Tout change soudain sous des influences différentes que M. Finlay distingue avec perspicacité. Dans la principauté française d’Achaïe et dans le duché d’Athènes, le pouvoir des conquérans se consolide, grâce à la présence de trois élémens qui se font contre-poids. Les Grecs sont riches, les contributions que le suzerain peut prélever sur eux le met en état de solder des mercenaires pour tenir en respect ses vassaux, et les barons, naturellement rivaux du suzerain, protègent contre lui les classes riches. Dès que les Catalans dépossèdent les ducs français, l’équilibre cesse avec la vitalité des institutions féodales, et le duché s’affaisse sur lui-même. Dans le royaume de Salonique, les conquérans ne sont plus des Français, mais des Lombards, déjà à demi italiens, et chez qui les habitudes féodales sont presque effacées. Au lieu d’occuper militairement les campagnes, ils se concentrent dans les villes : ils forment des espèces de garnisons sans s’inquiéter de l’agriculture, et ils ruinent leur pays par la solde qu’ils prélèvent eux-mêmes pour leur service. Dans l’Épire, où un fils naturel d’un prince byzantin fonde un état indépendant, M. Finlay démêle une pondération analogue à celle qui a servi d’assiette à l’Achaïe. En tirant des impôts des villes, le despotat est à même de solder un corps d’étrangers autour duquel il peut grouper sans danger les hommes de la montagne. De la sorte, la turbulence des Albanais trouve un emploi réglé, et les pillards jusque-là indomptés, qui n’avaient servi qu’à désoler les campagnes, deviennent un moyen d’ordre pour l’avantage de tous.

A Trébizonde la scène change encore; mais cette fois, c’est pour nous ramener à quelque chose d’analogue au Bas-Empire dans ses plus mauvais jours. Curieux état, composé de races hétérogènes et improvisé en quelque sorte par un Comnène avec le seul ascendant de son nom, la Trébizonde du moyen-âge était restée presque inconnue jusqu’à ces dernières années. Ce fut un savant professeur, M. Fallmerayer, qui la découvrit, pour ainsi dire, en découvrant à Venise une chronique de Michel Panaretos, publiée depuis par M. Tafel de Tubingue. A l’aide de cette chronique et de quelques manuscrits, M. Fallmerayer composa son Histoire de l’Empire de Trébizonde, publiée à Munich en 1827. Cette histoire est la première œuvre moderne qui ait donné une narration suivie des événemens, et c’est le travail de M. Fallmerayer qui a servi de base à M. Finlay. Il a résumé les découvertes de son devancier, en le complétant et en le rectifiant sur plusieurs points. Il a surtout utilisé ses propres connaissances générales pour tacher de deviner ce que les anciens textes ne disaient pas, ce qu’ils pouvaient seulement indiquer.

Qu’il reste encore beaucoup d’ombre sur la condition des diverses classes de la population de Trébizonde, c’est ce qu’établit l’historien dans sa conclusion même. Cependant il a au moins posé les questions, s’il ne les a pas toujours résolues, et dans ses pages on suit assez clairement les destinées politiques de Trébizonde. Des intrigues de palais, des empereurs s’anéantissant eux-mêmes au milieu des plaisirs et sans souci des affaires, des ambitieux acharnés à