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« Le pays ayant fait époque, nous avions cru devoir innover dans le journalisme officiel et faire entendre au monde l’expression sacramentale d’un nouvel organe du peuple.

« Nous avons donc présenté en manuscrit le prospectus d’une feuille qui emprunte de nos jours les élémens de sa force, le principe de son existence à venir et le relief de son caractère moral et politique.

« Ce programme, qui fut en son genre honoré de quelques accueils, nous laissait la perspective d’une masse homogène qui comprend déjà sa position dans les intérêts généraux du pays; mais voilà qu’une observation nous arrête par rapport à la matière et nous conseille de reprendre pur et simplement le Moniteur dans ses anciens erremens, jusqu’à de nouvelles approbations sur des idées qu’ont émises les circonstances... Cet avis n’étant que dilatoire au projet et les actes du gouvernement devant être en effet publiés, nous nous y déférons avec d’autant plus d’espérances, que nous ne renoncerons pas à ce tableau vivant et perpétuel des vérités qu’il faudra bien gravir pour rassurer à chacun le sentiment de son devoir, la conscience de ses actes et les avantages qui en dérivent. »


C’était pour le coup trop fort, et Soulouque, qui, dans le fond de son cœur, tenait encore énormément à la considération de la classe lettrée, et qui ne venait même de la fusiller que par excès d’estime, parce qu’il croyait avoir à redouter ses dédains, Soulouque se débarrassa au plus vite de son rédacteur en chef en l’envoyant à la cour de cassation, dont il est aujourd’hui le plus bel ornement. Le Moniteur haïtien est resté confié depuis à un simple idéologue, M. Thomas Madiou, écrivain de talent déjà connu de nos lecteurs et dont la pruderie grammaticale doit être d’ailleurs son mise à d’assez rudes épreuves. Vu la pénurie de journaux qu’ont occasionnée les bannissemens et les fusillades[1], le Moniteur est, en effet, devenu le principal réservoir de l’éloquence funèbre des comtes et des ducs de la nouvelle cour, et comme il serait plus qu’imprudent à M. Madiou de vouloir imposer des corrections à ces formidables collaborateurs[2], certaines colonnes du journal

  1. Il n’en reste plus, avec le Moniteur, que deux autres : la Revue des Tribunaux, qui parait quand elle peut, et la Feuille de Commerce, fondée par cet ex-sénateur Courtois que le sénat, sous la pression des baïonnettes de Soulouque (voir la Revue du 15 décembre 1850), condamna à trois mois de prison pour avoir blâmé les menaces de massacre et de pillage lancées contre la bourgeoisie par le favori d’alors, Similien, et dont Soulouque voulait à toute force commuer l’emprisonnement en peine de mort. L’imperturbable Feuille de Commerce n’en a pas moins conservé son épigraphe, dont la facture est aussi audacieuse que l’à-propos :

    L’arbitraire est de toute impossibilité.
    Tant qu’il existera libre publicité.

  2. Faustin Ier ne pousse pas aussi loin l’amour-propre d’auteur. M. Madiou, qui cumule, avec la direction du Moniteur, le titre de rédacteur des actes du gouvernement, est ostensiblement chargé de développer et d’embellir les nombreuses harangues que le journal officiel met dans la bouche de Soulouque, dont les tentatives oratoires sont rarement allées au-delà de ces nobles, mais courtes paroles : « Moi, trop content; vive la liberté! vive l’égalité! vive l’empire! » Dans les épanchemens semi-officiels, semi-intimes de ses jours d’audience, sa majesté trouve des formules aussi concises, mais beaucoup plus imprévues. Pour donner, par exemple, à quelqu’un un témoignage tout particulier d’estime, elle lui dira à brûle-pourpoint : « Vous êtes plus grand qu’Annibal ! »