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de dialectique; mais chacun apprit à s’exprimer avec aisance dans la langue vulgaire, qui commença à remplacer la latine. La Pologne offrit ainsi un spectacle exceptionnel dans l’histoire des littératures : une prose ardente et d’une extrême énergie précédant la poésie restée dans l’enfance. Les élèves de Socin remplacèrent bientôt à Cracovie ceux de Huss, et la noblesse polonaise, émancipée intellectuellement par tous ces sectaires, écrivait déjà sur la religion au XVIe siècle avec toute la liberté d’esprit dont s’enorgueillit le XIXe. Contemporain de Léon X, de Charles-Quint et de François Ier, le roi de Pologne Sigismond Ier accorda aux lettres une protection éclatante. A son exemple, les plus hautes familles tenaient à honneur d’encourager la science et de couvrir les savans de leur patronage. Tandis que, dans le reste de l’Europe, les écrivains, du moins les prosateurs, sortaient la plupart du tiers-état, en Pologne c’était la haute noblesse qui écrivait et répandait au loin les lumières. La langue nationale devenait la langue de la cour et des salons dorés, la langue des tribunaux et des diètes. A la haute tribune de Cracovie brillait le roi de l’éloquence polonaise au XVIe siècle, Lucas Gornicki. Par sa diction à la fois pure et vive et par la profondeur de ses pensées immortelles, il méritait d’être surnommé le Cicéron de la Pologne. La poésie aussi commençait à s’épanouir sous la plume de Jean Rybinski, que distinguait déjà une étonnante hardiesse d’imagos, et surtout grâce aux créations de Jean Kochanovski, le père des muses polonaises, digne émule des génies de l’antiquité. Pourtant le latinisme continuait d’absorber toutes les intelligences et de dicter jusqu’aux tournures mêmes du style et de la phrase. Une foule d’écrivains restaient fidèles au latin. Le célèbre maréchal Tarnovski écrivit dans cette langue son livre sur l’art de la guerre (Consilium rationis bellicœ. Tarnov, 1558). Le Pindare de cette époque, Szymonovicz, dit le Simonide de Léopol, fait noble sous le titre de Bendonski, quoiqu’il ait écrit aussi de belles odes en polonais, composait surtout ses chefs-d’œuvre dans la langue d’Horace. Aussi fut-il couronné par le pape Clément VIII comme le plus grand poète latin de son temps. Une palme latine, telle était la seule couronne que la chrétienté de ces temps permît au génie slave de conquérir.

Vers le milieu du XVIIe siècle, le bon goût et les lettres commencèrent à décliner en Pologne, comme en Italie, en Espagne et en Angleterre. Cervantes et Shakspeare meurent en 1616; en 1618, la guerre de trente ans se propage de l’Oder jusqu’au Rhin, et dans l’année 1620, grâce à Sigismond III, les jésuites deviennent les maîtres absolus de l’université de Cracovie. Cette fameuse société existait déjà depuis plus d’un siècle en Pologne, où l’avait introduite le roi Etienne Battory, qui n’en fut pas moins un des plus sages législateurs et des plus vaillans héros que la Pologne ait jamais eus. La décadence