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et de soldats, il repose sur le solide terrain de la nature humaine, que les hommes ne sauraient refaire à nouveau. En changeant de régime, on modifie l’assise des conditions; mais qu’un régime quelconque s’établisse, et aussitôt la masse de la population commence un travail intérieur de répartition, comme pour exhiber tous les genres de caractères dont elle peut trouver en elle l’étoffe sous une telle influence. La nébuleuse cherche à s’organiser en planètes. En temps de guerre, il se dessinera une série de types qui représenteront tous les rôles militaires, toutes les capacités ou les incapacités guerrières dont la matière existe dans le pays. Que le régime de la force fasse place à une ère industrielle, aussitôt il se formule d’autres catégories. La race cherche à montrer ce qu’elle peut produire en fait d’aptitudes industrielles, en fait d’hommes plus ou moins doués pour épargner ou gaspiller, pour manier des capitaux, ou pour procurer à une société industrielle ce qu’elle peut désirer. Encore quelques années, et il se fondera des classes qui seront simplement la traduction officielle de ces castes de nature, et les classes chercheront à assurer leur propagation, et tous s’y prêteront. S’il y a des majorités pour souhaiter qu’on les protège contre des émeutes et des réformateurs excessifs, celui qui pourra assurer la paix aura droit de faire ses conditions. Si l’intelligence qu’on acquiert par une consécration exclusive à la pensée trouve un jour, un seul jour, l’occasion de montrer ce qu’elle peut pour satisfaire des besoins, ces besoins seront les premiers à voter les lois et les privilèges qui pourront désormais aider ces capacités à se multiplier. Certain médecin dont le nom nous échappe s’était intéressé à suivre dans leur carrière les enfans qu’il avait introduits dans le monde. Il a consigné combien il avait trouvé parmi eux d’hommes supérieurs, combien d’esprits moyens, combien d’ineptes, et, chose frappante, sa statistique coïncide presque identiquement avec le cadre d’un régiment et l’effectif de ses grades. Si l’on regardait bien, on s’apercevrait aussi que l’échelle de nos fortunes et de nos conditions correspond non-seulement avec les divers degrés d’activité et de paresse, de prévoyance et d’étourderie, qui existent dans nos populations, mais encore avec les proportions dans lesquelles ils se rencontrent au sein de la masse commune. S’en prendre au principe même des inégalités sociales, comme l’a fait M. Proudhon, c’est donc repousser d’une main la civilisation qu’on appelle de l’autre; c’est toujours s’efforcer de faire rentrer les branches de l’arbre dans sa tige, les planètes dans la nébuleuse, la société déjà faite dans son embryon; c’est vouloir donner à la nature la peine de recommencer ab ovo.

Cela nous semble répondre à tout, et nous ne voyons nulle utilité à discuter pièce à pièce le modèle de société que M. Proudhon nous propose. Nous ne soutiendrons pas que le soleil ne verra jamais son