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point d’émotion, si fugitive qu’elle soit, dont on n’ait sa part ; on est à la source des nouvelles et des bruits, et cela suffit du moins pour être toujours au courant de ce qui s’agite au fond de cette société parisienne, la plus brillante, la plus capricieuse et la plus rare de toutes les sociétés. En est-il de même quand il s’agit de cette masse nationale qui vit de sa vie propre, disséminée dans les provinces ? Là souvent ni les habitudes ni les intérêts ne sont les mêmes. La province a une manière d’être, de parler et de sentir qui tient aux conditions politiques où elle se trouve placée depuis longues années. L’opinion est infiniment moins complexe et moins subtile ; dans les événemens qui se produisent, elle ne saisit que les résultats les plus saillans et les plus simples ; pour tout le reste, elle s’en inquiète et s’en informe peu.

Que voient en effet aujourd’hui les départemens dans tout ce qui s’est accompli depuis une année ? Ils y voient la fin de l’agitation, le désarmement des passions incendiaires, le repos public garanti. La révolution de février avait si bien organisé une sorte de guerre civile latente dans le moindre village, et l’avait rendue si bien infaillible à un jour donné, que tout le monde en est encore au soulagement de se sentir délivré de ce mauvais rêve. Devant ce grand résultat, tout s’efface, tout disparaît ; les partis ont une singulière peine à se reconnaître après cette tempête, et les malheureux qui allaient, l’an dernier, le sac sur le dos, à la ville voisine, pour chercher le butin promis à leurs passions, vont maintenant voter l’empire. Ils n’en sont pas meilleurs peut-être ; ils cèdent au courant général. Il n’est point douteux aujourd’hui que le trait le plus caractéristique de l’état des provinces en France, c’est cet apaisement universel, cette stagnation véritable de tout mouvement politique qui ne laisse place pour le moment à aucune préoccupation. Un autre trait de la situation actuelle des départemens, c’est qu’à ce sentiment intime de la paix publique retrouvée, et comme pour le confirmer, il vient se joindre cette autre satisfaction très positive qui naît du retour d’une certaine prospérité matérielle. Après trois ou quatre années de détresse, la propriété se retrouve dans une situation meilleure. Le travail agricole a ses rémunérations légitimes, et les fruits de la terre s’écoulent rapidement. Les transactions se sont singulièrement accrues en peu de temps ; les affaires marchent enfin, selon l’expression vulgaire. Sait-on le raisonnement que font bien des habitans des campagnes ? Il n’y a rien à dire, pourvu que cela dure ; tel est leur mot. Par exemple, c’est là une chose à laquelle peut songer le gouvernement : par la même raison qu’on lui attribue le mérite d’une situation matérielle suffisamment prospère, il n’est point sûr qu’à la première crise on n’en rejette sur lui la responsabilité. Cela s’est vu ; ce ne serait point la première fois qu’on s’en prendrait au gouvernement d’une saison contraire, d’une récolte mauvaise ou d’une baisse des grains : penchant éternel d’un peuple accoutumé à tout expliquer par l’intervention du pouvoir, parce qu’il a pour habitude et pour tradition de ne rien faire sans lui ! Toujours est-il qu’il n’en est point ainsi aujourd’hui, et que généralement l’amélioratioil des intérêts est un des faits actuels les plus sensibles dans la situation matérielle des départemens. Or, cette amélioration, n’est-ce point en définitive ce qu’il y a de plus palpable dans la politique pour les habitans des campagnes ? C’est dans ces conditions que se présentait récemment cette question