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en avoir tout le profit sans les charges. Ils prévoyaient et redoutaient la réaction implicite que cet état de choses amenait nécessairement contre les traités de 1815. Les déclarations du discours de Bordeaux, la diminution de l’effectif de l’armée française, l’explication donnée par le nouvel empereur au corps législatif pour justifier le titre de troisième empereur de son nom et de sa race, ont été reçues en Allemagne comme des témoignages pacifiques qui peuvent suffire, quant à présent, à rassurer les esprits. Il est impossible d’oublier l’influence que le cabinet de Vienne a exercée à cet égard sur les cabinets du Nord, du moins à l’origine. Le prince Schwarzenberg n’avait envisagé dans l’acte du 2 décembre que les services rendus à la politique de conservation ; il s’était efforcé de faire agréer sa manière de voir à la Russie et à la Prusse. Aussi l’empereur des Français a-t-il pu dire récemment avec raison : « Le prince Schwarzenberg et moi nous parlions le même langage. » Le cabinet autrichien restera-t-il fidèle à cette politique ? Ayant plus qu’aucun autre en Europe à redouter les entreprises révolutionnaires, il regarde vraisemblablement encore la restauration de la monarchie en France comme une garantie d’ordre et de sécurité intérieure pour les gouvernemens. Le verra-t-on persévérer dans les mêmes sentimens, lorsqu’il croira l’Autriche suffisamment raffermie sur ses bases et la révolution comprimée ? C’est le secret de l’avenir ; mais il est du moins hors de doute qu’en ce moment aucune des grandes puissances européennes n’est plus intéressée que l’Autriche à ménager la France.

En Turquie, la crise ne paraît pas marcher vers une solution. Le but que le sultan poursuit n’est point facile à atteindre. Frappé de la faiblesse personnelle des chefs du parti de la réforme et de l’incurie qu’ils ont mise dans l’administration des finances, Abdul-Medjid ne veut pas cependant confier le pouvoir aux mains de l’ancien parti turc, dont l’incapacité est plus notoire encore : il ne veut point entrer dans la voie d’une réaction aveugle qui serait périlleuse. Son désir serait de trouver entre les deux partis extrêmes, dont l’un est à demi européen et l’autre asiatique à outrance, des ministres à la fois tolérans et turcs, capables, par un suprême effort de patriotisme sensé, de tirer l’empire de ce mauvais pas. Cet essai de transaction, déjà plusieurs fois tenté, qui eût créé en Turquie ce que l’on appelait d’avance le parti national, n’a jamais eu que des résultats passagers, des ministères de coalition qui n’ont point duré. Une pareille transaction serait peut-être cependant l’unique moyen de rasseoir l’autorité ébranlée, sans ranimer l’esprit d’intolérance, d’innover sans froisser directement les préjugés musulmans. Si la crise présente devait avoir pour effet de démontrer au sultan la nécessité d’une nouvelle tentative de fusion ou de rapprochement de ce genre, cette crise n’aurait pas été stérile. Il est temps toutefois d’y pourvoir, car le mal augmente chaque jour en se prolongeant.

On ne sait rien de nouveau sur les intentions des Wahabites de l’Arabie ; mais il ne semble pas douteux que les troupes ottomanes aient éprouvé un échec dans leur lutte contre les Druses. Du côté du Monténégro, les choses marchent rapidement, et l’on peut dès à présent apprécier les suites probables de la révolution pacifique accomplie dans ce petit état. À peine le nouveau chef de la Montagne-Noire, renonçant à la mitre épiscopale de ses prédé-