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de Souabe un combat à outrance. Enfin la dernière partie conduit le lecteur jusqu’à la ruine complète de cette maison en 1268. M. de Cherrier, qui croit, et nous l’en félicitons, à la grande loi des châtimens providentiels, dit avec raison que la maison d’Hohenstauffen semble frappée par la main vengeresse du Tout-Puissant. Elle perd la Sicile; son dernier prince meurt à Naples sur un échafaud; les papes eux-mêmes, qui, comme princes temporels, se sont laissé entraîner à de blâmables excès, manquent leur but. L’Italie leur échappe comme elle avait échappé aux empereurs. Pour triompher de la résistance italienne à leurs projets de domination, ils appellent les Français, qui sont encore pour les Italiens de nouveaux barbares, et quatre siècles plus tard, dans ce beau pays toujours asservi et déchiré, Machiavel s’écriera avec tristesse : « Que l’Italie, après une longue attente, voie enfin paraître son libérateur! Je ne puis trouver de termes pour exprimer avec quel amour, avec quelle soif de vengeance, avec quelle fidélité inébranlable, avec quelle vénération et quelles larmes de joie il serait reçu dans toutes les provinces qui ont tant souffert de ces inondations étrangères. »

C’est un grand et curieux spectacle que celui de la lutte des empereurs et des papes. D’un côté, d’immenses armées et tout l’appareil de la force maté- rielle; de l’autre, le seul ascendant de l’autorité morale et toutes les ressources d’une politique consommée. Le pape ne peut rien dans Rome; le plus souvent même il est forcé de fuir sa capitale, et c’est l’empire qui finit par être vaincu. Ce fait est d’autant plus remarquable, que la papauté se trouva plusieurs fois complètement abandonnée. Tel était cependant l’irrésistible ascendant que le caractère sacré du pontife prêtait au prince temporel, que ce prince, sans états, sans armée, sans argent, tenait encore en échec le monarque le plus puissant de l’Europe. Cet ascendant, du reste, ne tarda pas à s’affaiblir, et M. de Cherrier, qui ne dissimule jamais les torts, de quelque côté qu’ils viennent, dit justement que cette décadence de l’influence politique de la papauté tient à ce que les souverains pontifes, au lieu de rester en Italie les représentans du principe national et populaire, cherchèrent à constituer une monarchie théocratique et aristocratique. Il est évident en effet que les papes, en tant que princes temporels, tout en combattant les empereurs, cherchèrent à se mettre à leur place, et, quoi qu’en ait dit le comte Joseph de Maistre, Grégoire VII et Innocent III ne voulaient point seulement instituer et discipliner la souveraineté européenne, jeune encore et dans toute la fougue de ses passions; ils voulaient aussi placer sur leur tête la couronne d’Italie, et étendre jusqu’au pied des Alpes l’état ecclésiastique. Faut-il les en blâmer? il est certain que seuls ils pouvaient aspirer à réaliser l’unité italienne; mais par malheur ils avaient contre eux, d’une part les rivalités urbaines, de l’autre le caractère cosmopolite de leur pouvoir. Choisis en effet parmi tous les peuples de l’Europe chrétienne, ils devaient, selon leur origine nationale, chercher des alliés tantôt dans un royaume, tantôt dans un autre. Trop faibles pour se soutenir contre des sujets souvent révoltés, ils appellent à leur secours, non pas les étrangers, car il n’y avait point pour eux d’étrangers dans la chrétienté, mais les fils de l’église. Or, pour les Italiens, ces fils de l’église n’étaient que des barbares, et pour les papes eux-mêmes des conquérans, dont le premier soin était de s’emparer de Rome. De là ces luttes