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REVUE DES DEUX MONDES.

sans mettre en regard la rédaction primitive. Pour les personnes qui n’ont pas la connaissance des deux langues, le livre se trouve ainsi décomplété, et l’excellent travail de M. Michelant reste pour elles une lettre morte.

Nous n’avons examiné ici qu’un petit nombre de volumes, et cependant nous avons rencontré sur notre route une foule de questions importantes ; c’est qu’en effet l’érudition tend chaque jour davantage à se dégager des minutieux détails qui l’ont surchargée trop long-temps, à se rapprocher de l’histoire proprement dite, à se fondre avec les sciences économiques et sociales. Exacte dans ses recherches et de plus en plus impartiale dans ses jugemens, par cela même qu’elle sait mieux, elle s’est affranchie de l’esprit de dénigrement systématique qui caractérise le XVIIIe siècle, du lyrisme matérialiste de l’école romantique, et des exagérations de l’école révolutionnaire. Habituée à vivre parmi les ruines, elle est calme comme ces ruines elles-mêmes, et, au milieu de nos agitations politiques, elle offre à tous les partis un terrain neutre où chacun peut se recueillir dans le silence et l’étude.

Aux époques mystiques et croyantes, les hommes que la vie laissait tristes et désillusionnés se réfugiaient dans la solitude du cloître. Aujourd’hui, ceux que les plaisirs de la vie mondaine trouvent indifférens et froids aiment à se réfugier parmi les vieux livres. Comme les poètes qui créent par la fantaisie un monde idéal, ils reconstituent par la science le monde du passé, et cette science, qui offre aussi bien que la philosophie l’attrait du mystère et de l’inconnu, ne porte point comme elle les fruits amers du doute. C’est là ce qui explique le développement qu’ont pris dans ces derniers temps les études d’érudition et d’archéologie, et, si quelques hommes ont cherché à les exploiter dans un intérêt égoïste, il est juste de reconnaître que, pour le plus grand nombre, elles ont été complètement désintéressées. Lorsque tant de systèmes absurdes ou dangereux, tant d’idées subversives, se produisaient par les lettres, par le théâtre, par le roman, ces études sont restées irréprochables au point de vue moral et social. Elles méritent donc, ne fût-ce que sous ce rapport, d’être encouragées et dédommagées par l’estime des esprits sérieux de l’indifférence qu’elles rencontrent trop souvent encore auprès de la masse du public.

CHARLES LOUANDRE.



V. de Mars.