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et les églogues d’Arnould, évêque de Lisieux, qui s’intitulait modestement le meilleur poète du Xe siècle ! Nous devons aussi indiquer à l’université future, parmi les poètes qui sont nés expurgati, Marbold de Rennes, Anselme de Cantorbéry, Zacharie-Benoît Wicentini, Jean Hauteville, surnommé le Jérémie (il y avait de quoi pleurer !) du onzième siècle ; Guillaume de la Fouille (il a donné naissance au proverbe chanter pouille). Voilà, j’espère, de quoi combler toutes les lacunes ; les autres poètes de cette pléiade iront se placer où ils voudront, sur la croupe du taureau, avant Plaute, avant Térence, à savoir le poète Philippe de Bonne-Espérance, le pape Jean XVIII, le docteur Clémangis, et le parfait poète des poètes patois, dont chaque vers commençait par un P : Pugna Porcorum, etc, auquel poème de pores je préfère, et de beaucoup, le poème du pauvre Ubald, qui a préféré le C au P.

Carmina clarisonæ calvis cantate camænæ !

Voilà pourtant, à entendre les fanatiques, les successeurs d’Horace et les héritiers de Virgile ! De ceux-là on peut dire à coup sûr ce que disait saint Jean Chrysostôme dans son homélie au peuple d’Antioche : « Les successeurs de Zénon et de Diogène ne sont que des comédiens et ne se font valoir que par leurs barbes et leurs manteaux ! » Vous rappelez-vous Ménage se plaignant « d’un mot de mauvais goût qui avait toute l’amertume de la nouveauté ? » Nous voilà bien loin de ces difficiles, de ces grammairiens, de ces jurés-peseurs de diphtongues qui disaient de certains mots : « On peut s’en servir une ou deux fois chaque mois tout au plus. » Prenez garde cependant non pas seulement à cette réforme anti-littéraire qui nous ramène à ce moyen-âge votre idole, mais prenez garde au démenti que vous allez donner à l’antiquité chrétienne, aussi bien qu’à l’antiquité religieuse. Ces pères de l’église dont nous parlions tout à l’heure, et que nous avons pris pour nos guides dans cette dissertation ardue, ils auraient eu honte de jeter même un coup d’œil sur les confins de cette antiquité qu’ils regrettaient en l’abandonnant, et certes ce n’était pas pour lire les Bucoliques d’Arator, d’Eudoxie ou de Proba Fallonia, qu’ils renonçaient aux Géorgiques. « Il y a deux sortes d’autorités, disent-ils, l’une divine, qui ne nous propose jamais rien que de vrai, l’autre humaine, qui est sujette à l’erreur. » Et cependant ils s’inclinent devant la raison humaine, ils l’acceptent avec terreur, mais enfin ils l’acceptent : « La raison est une action de l’esprit qui unit les choses suivant le rapport qu’elles ont ensemble, et qui les sépare suivant leur disconvenance. C’est elle qui a inventé les sciences et les beaux arts. » Ainsi respectez la raison humaine qui a inventé ces grandes choses. — « Respectez la raison, » dit saint Augustin, — et « respectez la poésie, ajoute Bossuet, car la poésie est destinée à perpétuer la mémoire des actions les plus