Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
LE ROMAN ABOLITIONNISTE EN AMÉRIQUE.

« — J’espère, cher monsieur, que vous n’êtes pas exposé à cause de nous à quelque difficulté, dit George avec inquiétude.

« — Ne crains rien, George, c’est pour cela que nous avons été envoyés dans le monde. Si nous reculons à la pensée des inconvéniens que peut entraîner une bonne cause, nous ne sommes pas dignes de notre nom… Phinéas te conduira ; c’est un homme sage et habile. Puis il ajouta, en posant avec tendresse sa main sur l’épaule de George et en montrant ses pistolets : ne sois pas trop prompt à te servir de ces instrumens de mort, le jeune sang est chaud.

« — Je ne veux attaquer personne, dit George. Tout ce que je demande à cette contrée, c’est de pouvoir en sortir paisiblement ; mais… — et ici il s’arrêta, son sourcil se fronça, sa figure grimaça, — j’ai eu une sœur vendue sur le marché de la Nouvelle-Orléans ; je sais ce que deviennent les femmes qui ont été vendues et ce qu’on fait d’elles, et dois-je, lorsqu’ils vont prendre ma femme pour la vendre aussi et que Dieu m’a donné une paire de bras robustes pour la défendre, me tenir coi et les laisser faire ? Non, Dieu m’en garde ! Avant qu’ils prennent ma femme et mon enfant, je combattrai jusqu’à mon dernier souffle. Pouvez-vous m’en blâmer ?

« — L’homme ne peut te blâmer, George. La chair et le sang ne peuvent faire autrement, dit Siméon ; malheur au monde à cause des offenses, mais malheur à ceux par qui sont commises les offenses !

« — Mais à ma place, monsieur, ne feriez-vous pas la même chose ?

« — Je prie Dieu qu’il m’épargne cette tentation. La chair est faible. »


Nous nous sommes arrêté volontiers auprès de ce foyer paisible dont la lueur jette un rayon de consolation et de sympathie humaine au milieu de ces ténèbres et de ces scènes de deuil et de larmes. Honnêtes quakers tant attaqués, tant calomniés, persécutés par les puritains qui vous traitaient d’hérétiques, fouettés et chassés par eux autrefois, méprisés des catholiques, qui vous regardent comme des philosophes inconséquens, et raillés par les philosophes, gens gais et aimant à rire, qui vous considèrent comme des originaux et des excentriques, votre nom restera dans l’histoire un nom respecté. La vertu des quakers peut se reconnaître à un signe qui, pour nous, est infaillible : leur petit nombre. Ils n’ont pas grandi comme les autres sectes, mais ils n’ont pas diminué non plus : c’est la preuve la plus certaine qu’ils n’ont ni dans leur doctrine, ni dans leur vie, ce mélange de vertu, de fanatisme, d’esprit militant, cette fougue toujours plus ou moins équivoque et mauvaise, qui, mêlée à la conviction, est nécessaire pour entraîner, subjuguer le commun des hommes. Ils n’ont pas grandi dans les proportions des autres sectes et des autres églises, mais ils n’ont pas à se reprocher ces terribles moyens par lesquels les doctrines s’établissent le plus souvent. Aucune œuvre de crime, aucun fanatisme, aucune persécution n’est unie à leur nom, et, quant à leur doctrine, elle contient une idée sur laquelle on pourrait écrire des volumes et que toutes les philosophies des droits de l’homme et de la raison n’égaleront jamais : c’est que la conscience est infaillible lors-