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génie, la fécondité des conceptions ; il avait toutes les mâles qualités d’une raison solide et inflexible. Ses dépêches ne contiennent pas une seule fois le mot de gloire, a-t-on dit : le mot de devoir est plutôt le sien. Lord Wellington a réalisé probablement tout ce qu’on peut attendre d’un général aux ordres d’un gouvernement constitutionnel. Forcé plus d’une fois d’agir contre ses propres vues ou sans ressources suffisantes, il ne murmurait pas, il s’employait à réparer les fautes qu’on lui faisait commettre ou à suppléer aux moyens qu’on lui refusait. Quant au genre d’héroïsme du duc de Wellington, on peut le voir tout entier à Waterloo ; il avait fixé la place où il devait mourir, lui et son armée jusqu’au dernier homme. Dans la journée, en effet, il avait perdu huit généraux, huit aides-de-camp ; sept chevaux étaient tombés sous lui, et la résistance durait encore. C’était l’héroïsme de la ténacité et de l’inflexibilité. Toutes ces qualités mâles et fortes, lord Wellington les avait portées dans la politique, où il a exercé jusqu’à son dernier jour un ascendant que nul ne songeait à contester.

C’est assurément un de ses plus illustres enfans que l’Angleterre vient de perdre et auquel elle prépare des funérailles dignes d’elle, dignes de l’émule de Nelson. Par une coïncidence étrange, au même instant, mourait en Espagne un autre homme de guerre mêlé, comme lord Wellington, aux événemens du commencement de ce siècle : c’est le général Castanos, duc de Bailen. Ce nom de Bailen est d’un souvenir fâcheux, presque sinistre pour nous. Celui qui le portait cependant était un spirituel et aimable vieillard arrivé aux dernières limites de la vie, il avait près de quatre-vingt-quinze ans, et il faut admirer comment ces natures, durcies par la guerre, atteignent facilement l’âge le plus extrême. Castanos était encore, à sa mort, commandant en chef des hallebardiers de la reine. La causticité et la bonne humeur de ce vieux soldat étaient bien connues en Espagne ; on sait de lui force traits piquans. Un jour, pendant les guerres de l’empire, un jeune moine se présenta à lui, se prétendant en possession d’un secret infaillible pour faire toutes les troupes françaises prisonnières. Pour cela, le général espagnol et ses soldats n’avaient tout simplement qu’à se confesser, à communier, — après quoi faire mettre bas les armes aux Français était la moindre des choses. « Eh bien ! soit, répondit gravement Castanos à ce jeune fanatique ; moi et mes soldats nous allons nous confesser, communier ; — puis vous vous chargez du reste. » Un autre jour, assure-t-on, le duc de Bailen se présenta au palais, dans le cœur de l’hiver, en costume d’été. Le roi Ferdinand VII, qui l’avait en grande amitié, se prit à rire en le questionnant sur ce qui avait pu le porter à se vêtir si légèrement. « Quoi donc ! reprit Castanos, ne sommes-nous pas au mois d’août, sire ? J’en étais persuadé, n’ayant pas touché ma solde depuis ce temps. » On pourrait recueillir bien d’autres saillies de ce vieux soldat, qui joignait d’ailleurs à cette causticité d’esprit de plus solides mérites militaires. Réfléchissez un moment cependant : Wellington, Castanos, voilà des hommes dont le nom, illustré dans les luttes de leur patrie, est resté jusqu’au bout l’objet du respect universel. Quand, en Angleterre, on parlait de lord Wellington, on rappelait le duc, et cela suffisait ; chacun savait qu’il s’agissait du premier Anglais après le chef couronné : on lui a érigé, de son vivant, des statues. Lord Wellington a offert ce rare spectacle d’un homme jouissant