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REVUE. — CHRONIQUE.

l’étrange thèse de M. l’abbé Gaume. C’est à ce double point de vue que le père Cahour s’est placé dans son essai, faisant la part nécessaire à l’étude des sciences, en tant qu’elle n’altère point l’enseignement classique, et posant naturellement le principe de l’influence chrétienne dans l’éducation, mais repoussant absolument le système de l’auteur du Ver rongeur. Il est facile de distinguer, dans cet exposé nouveau de la question, un esprit habile, instruit et accoutumé à traiter de ces choses de l’éducation publique. Seulement, après avoir lu ce livre, nous nous demandons ce qui peut rester du système de M. l’abbé Gaume. Tout ce que celui-ci soutient, le père Cahour le détruit pas à pas, substituant aux assertions légères ou paradoxales une interprétation plus saine des faits. Ce qui effraie avec beaucoup de raison le savant jésuite, ce n’est point le développement immodéré des études classiques, c’est leur affaiblissement au contraire, c’est la diminution sensible de cette science d’autrefois qui allait droit aux sources et vivait en communication directe avec les grands auteurs de l’antiquité, tandis qu’aujourd’hui on les lit dans des traductions, et ce qui n’est point traduit, on ne le lit pas. Par une remarquable vue, dans ces attaques peu intelligentes dont l’enseignement des classiques latins est l’objet, le père Cahour montre l’atteinte qu’on porte au catholicisme lui-même en affaiblissant l’autorité de la langue dans laquelle il n’a cessé et ne cesse encore de parler au monde, et cela n’est pas vrai seulement au point de vue religieux : n’est-il point sensible que la France en particulier peut se trouver également atteinte dans son génie, à mesure qu’elle sera détournée de l’étude de ses origines, de ses traditions latines, de la langue qui a donné naissance à la sienne ? Le livre du père Cahour a cela de bon, qu’il rectifie bien des erreurs, qu’il remet à leur place bien des vérités simples et pratiques, qu’il dissipe bien des confusions. Or la confusion, c’est justement une des maladies les plus invétérées de notre temps ; elle est dans les esprits, dans les idées, dans les cœurs. Il semble que le sens net et clair des choses nous échappe.

Il est facile de pressentir ce qui peut résulter de cette confusion dans la sphère littéraire. Il y a des conditions de l’art qui cessent d’être la règle dominante des intelligences, il y a des lois de la pensée et de l’invention qui s’obscurcissent, il y a comme un ressort secret de l’esprit et de l’imagination qui fonctionne à vide et au hasard. Qu’on ait jeté aux orties le froc classique, qu’on secoue le joug des règles des rhétoriques anciennes, là n’est point la question ; mais la peinture d’un caractère, l’analyse d’une passion, l’expression d’un sentiment, la reproduction de l’histoire, — c’est tout cela qui a ses conditions propres. L’embarras aujourd’hui est de saisir le caractère de telle ou telle œuvre qui passe sous vos yeux, d’en apercevoir l’inspiration et le but, de savoir d’où elle vient et où elle va. Sous quelle zone morale et littéraire, par exemple, a pu naître la comédie de Stella, que donnait récemment le Théâtre-Français ? Il est difficile de s’en rendre compte. Stella, le principal personnage, est encore un des types de la grande artiste suivant l’invention moderne ; elle est née de quelque adultère presque illustre, elle a vécu à la grace de Dieu, et elle a, bien entendu, du génie sur le piano. Quant à ses aventures, elles sont assez vulgairement invraisemblables. Au milieu de cet imbroglio, il y avait cependant une idée comique dans un personnage de