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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/298

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bliez pas aussi, je vous prie, que Mme Sophie[1] me doit 5 louis : dans un temps de misère, on ramasse les plus petites parties. Vous connaissez mon respect et mon attachement pour vous, je n’en dirai pas un mot de plus. »


C’est donc avec une impatience très explicable que Beaumarchais attendait l’occasion d’utiliser son crédit auprès de Mesdames au profit de sa fortune. La littérature étant, à ses yeux, un métier ingrat, il ne voulait s’y livrer qu’autant qu’elle pourrait devenir pour lui un délassement. Cependant il écrivait déjà beaucoup. Du jour où il entre à la cour, on voit qu’il éprouve le besoin de compléter une éducation insuffisante. Il y a dans ses papiers de cette époque une masse de brouillons écrits de sa main sur lesquels il jette sans ordre ses propres idées, mêlées à des citations empruntées à une foule d’auteurs sur toutes sortes de sujets, je remarque dans ces citations une certaine prédilection pour les écrivains du XVIe siècle, pour Montaigne, et surtout pour Rabelais, dont le style indiscipliné, abondant, hardi, fécond en épithètes, déteint parfois en effet sur la prose du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, et s’y combine de temps en temps avec des formes un peu maniérées qui rappellent Marivaux. Bien qu’il n’ait jamais eu un talent poétique très saillant et qu’il ait souvent mêlé à des vers heureux des vers assez plats, Beaumarchais se livrait dès-lors à sa passion pour les couplets et s’essayait même dans des poésies de plus longue haleine ; il a écrit, à cette époque de sa jeunesse, une pièce inédite d’environ trois cents vers sur deux rimes redoublées qui, sans s’élever au-dessus du médiocre, semble composée avec assez de facilité ; c’est une satire contre l’optimisme. Voici le début :

Partout on cherche, on étudie
La cause des malheurs divers
Qui désolent cet univers,
Des humains la triste patrie.
Nul n’est d’accord, chacun varie.
J’entends les partisans diserts
Du système de bonhomie
Vanter l’immuable harmonie
Qu’ils remarquent dans l’univers,
D’après les calculs de génie
Et des Leibnitz et des Keppler,
Et que ces fous dans leur manie
Ont nommés célestes concerts :
Moi, je n’oppose à leur folie
Qu’une foule d’argumens clairs,
Et je dis : Sagesse infinie,
L’axe qui sous la terre plie

  1. La troisième des filles de Louis XV.