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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

phique, littéraire ou historique était beaucoup plus en désordre ; on voyait que le classement avait été confié au caissier Gudin, commis zélé, mettant les affaires en première ligne. Ainsi, après avoir déterré çà et là les manuscrits des trois drames et de l’opéra de Beaumarchais, nous avions vainement cherché un manuscrit du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, lorsqu’en faisant ouvrir par un serrurier un coffre dont la clé était perdue, nous découvrîmes les deux manuscrits au fond de ce coffre sous une masse de papiers inutiles[1]. À côté se trouvait un mouvement de montre ou de pendule exécuté en cuivre sur un grand modèle et portant l’inscription suivante : Caron filius ætatis 21 annorum regulatorem invenit et fecit 1753. C’était la première invention par laquelle le jeune horloger Beaumarchais débuta dans la vie. La juxtaposition dans la même caisse de ces deux objets si différens, du chef-d’œuvre de l’horloger et des deux chefs-d’œuvre de l’auteur dramatique, avait quelque chose d’assez piquant ; c’était comme une réminiscence de je ne sais plus quel monarque de l’Orient qui plaçait dans le même coffre ses habits de berger et son manteau royal. Au fond de cette caisse se trouvaient aussi quelques portraits de femmes. L’un d’eux, très petite miniature représentant une belle dame de vingt à vingt-cinq ans, était enveloppé dans un papier portant ces mots d’une écriture fine et un peu griffonnée : Je vous rends mon portrait, — gracieux et fragiles débris, moins fragiles encore que nous, puisqu’ils nous survivent ! Qu’est devenue cette belle personne d’il y a quatre-vingt-sept ans ? (Je dis quatre-vingt-sept ans, parce que j’ai reconnu l’écriture qui remonte à 1765.) Qu’est devenue cette belle personne qui, pour sceller une réconciliation sans doute, écrivait : « Je vous rends mon portrait ? »

 
Dictes-moi où, ne en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiada ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ?
Écho parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan

  1. Ces deux manuscrits sont deux copies, mais remplies de corrections, d’additions et de changemens qui sont tous de la main de Beaumarchais. Ce sont ces manuscrits qui paraissent avoir servi à la première représentation de chacune des deux pièces. Les changemens sont nombreux, surtout dans le Barbier de Séville, dont les deux derniers actes, le quatrième et le cinquième, furent fondus en un seul entre la première et la seconde représentation. On a ici ces deux actes tels qu’ils furent d’abord conçus par Beaumarchais. Divers autres brouillons relatifs à ces deux pièces, les brouillons d’Eugénie, des Deux Amis, de la Mère coupable, des Mémoires contre Goëzman, dont plusieurs parties sont refaites jusqu’à trois fois de la main de Beaumarchais, permettent enfin de mettre un terme à cette ridicule question soulevée encore de nos jours : savoir si Beaumarchais est bien réellement l’auteur de ses ouvrages.