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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

Voltaire a raconté les détails de cette négociation qui échoua, et dans laquelle le héros suédois joua le rôle d’un homme parfaitement mal élevé. L’accueil que fit Charles XII à la comtesse de Kœnigsmark n’est point le fait d’un gentilhomme. L’inconvenance d’un pareil trait n’échappe point à Voltaire ; mais, en historien épris de son héros quand même, en apologiste qui sait son métier, Voltaire remarque agréablement qu’ainsi la comtesse de Kœnigsmark ne remporta de son voyage que la satisfaction de pouvoir croire que le roi de Suède ne redoutait qu’elle ; ce qui s’appelle s’en tirer par un madrigal. En général, le manque absolu d’égards envers les femmes entre assez dans les façons d’agir des potentats exclusivement militaires. Cela se nomme d’habitude humilier l’arrogance de la beauté. Nous comprenons combien de semblables exemples sont édifians, et tout ce que la basse hypocrisie, la laideur haineuse et bourgeoise, la vertu envieuse, ressentent de petites satisfactions à voir l’orgueil abaissé de ces charmantes pécheresses que l’amour d’un roi, que son caprice mit au premier rang. Néanmoins une femme de naissance et d’esprit, pour avoir failli dans certaines conditions, qu’admettent, à tort sans doute, mais en réalité, les mœurs d’un siècle, ne perd point son titre de femme, et se poser en justicier à son égard, l’outrager au nom d’une morale dont vous ne consentez vous-même à observer les lois qu’autant qu’elles conviennent aux goûts d’une nature exceptionnelle, assure-t-on, en ses austérités aussi bien qu’en ses écarts, passera toujours pour l’acte d’un soldat grossier. Charles XII avait beau affecter de ne point boire de vin, il se conduisit ce jour-là comme un caporal ivre.

La comtesse de Kœnigsmark ne persista point trop d’ailleurs dans ce rôle de négociateur qu’elle s’était imposé par dévouement pour Frédéric-Auguste : elle savait mieux que personne ce qu’il fallait penser du caractère de son ancien amant, de ce prince chevaleresque par boutades et seulement sur les champs de bataille. Aussi, comme elle avait de la prudence et beaucoup de tact, elle évita de se mêler de ses affaires au-delà d’une certaine mesure, persuadée qu’en politique, les grands, lorsqu’ils sont faibles, finissent toujours par sacrifier les petits et qu’il existe de toute éternité d’excellentes excuses pour consacrer en pareil cas la perfidie et la lâcheté des rois. D’ailleurs, à défaut de son instinct naturel, le sort de l’infortuné Patkul l’eût avertie. Profondément impressionnée par le trépas sanglant d’un homme qu’elle aimait et honorait, n’essayant même point de vouloir démêler dans cette catastrophe accomplie sous ses yeux quelle part revenait à la criminelle faiblesse de son ancien amant et ce qu’il fallait attribuera la fatalité, elle retourna bien vite à son cloître. De loin en loin, lorsqu’elle reparaissait à la cour de Dresde, ce n’était plus pour y diriger de frivoles divertissemens, ce n’était plus pour y amuser de ses saillies et de ses épigrammes un