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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

apparence antique et se hâtaient de reprendre bien vite le ton courant, si tant est qu’elles l’eussent un seul instant mis de côté. Ici tel n’était point le cas ; la mythologie imprégnait tout de son parfum : plaisirs, conversation, lettres, affaires même, l’illusion se perpétuait sans fin à travers la vie. On entrait au bal, on en sortait déesse, et la camériste, en mettant au lit sa maîtresse, était dupe elle-même de l’apothéose ! pour ce travers, la spirituelle chanoinesse de Quedlinbourg était fort de son siècle ; ses lettres ont le pathos du temps : aimer, c’est hanter les bosquets de Cythère ; quiconque rime un méchant quatrain monte Pégase, et même à Teplitz, même en ces eaux thérapeutiques, peu faites, hélas ! pour inspirer les riantes fictions, l’aimable femme ne saurait se baigner comme une simple mortelle. « Si je pensais que les détails de notre séjour ici fussent de nature à vous intéresser, j’aimerais à vous les écrire. La société s’augmente remarquablement ; la trompette de la tour nous a, ces jours derniers, signalé encore l’arrivée de divers grands personnages que Prague nous envoie. Vous imaginez si nos belles coquettes sont déjà sous les armes. Nous avons entrepris maintes parties de plaisir qui toutes ont eu la pluie pour dénoûment. On a donné aussi quelques dîners, mais les convives s’y endormaient, et je crains que ce ne soient là de mauvais antidotes contre la paralysie. Dernièrement, ces dames organisèrent une partie de bain où nous nous rendîmes couronnées de fleurs et déguisées en nymphes de Diane. Nous convînmes de choisir au sort celle qui ferait Diane, ce fut Mme de Reisewitz. On avait déployé une tente au-dessus du bassin, et nous nous mîmes au bain deux à deux. À peine les belles ont-elles confié à l’humide élément leurs charmes recouverts d’un léger voile, que soudain une nymphe étrangère et renfrognée se montre à l’autre extrémité du bain. Jugez de la terreur, quand on s’aperçoit que cette vieille nymphe a de la barbe. Diane aussitôt sonne l’alarme, et nous reconnaissons le vieux comte Traulmannsdorf, venu là pour surprendre à l’eau les aimables baigneuses et jouer un tour pendable à Mme de Reisewitz, qui se mourait de peur. Mais nous ne sommes pas au bout. Le comte Isterlé apparaît alors en robe de chambre, en bottes fortes, et coiffé d’un énorme bonnet d’Astrakan. Nous l’éclaboussons de notre mieux, son bonnet tombe, et le voilà changé en Actéon, avec un magnifique bois de cerf à la tête. Cependant Diane et ses nymphes cherchent à s’enfuir, lorsqu’un nouveau trouble-fête se présente : c’est le comte Zwirbi, qui leur barre le passage en les agaçant de mille façons. — N’allez pas prendre au moins ceci pour une fable, car ce que je vous raconte est la pure vérité, et vous pouvez y croire comme aux sentimens de vos obéissantes et fidèles nymphes. »

Pour une chanoinesse, l’anecdote semble au moins bien légère, et peut-être n’en faudrait-il pas davantage pour donner raison aux bonnes