Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’existence de la société elle-même. Qu’ils passent à la réalisation, — soudain, par une dérision de leurs bizarres conceptions, tout ce qu’ils font ne sert qu’à faire renaître le pouvoir plus fort, plus puissant, plus entier que jamais.

Oui, un des plus tristes symptômes contemporains, c’est cette confusion dans toutes les notions, dans toutes les idées, cette décomposition des choses morales et intellectuelles dont nous parlons. Par malheur, l’histoire, elle aussi, a eu à se ressentir plus d’une fois de cette falsification universelle et à se plier aux fantaisies effrénées ou à l’esprit de système. Nous n’accuserons pas sans doute M. Vaulabelle, qui vient de publier le sixième volume de son Histoire de la Restauration, de céder entièrement et volontairement à ces tendances ; il fait des efforts pour rassembler exactement tous les faits : c’est visiblement un historien qui prend son travail au sérieux ; mais, ce qui l’empêche de pénétrer le sens de l’époque qu’il raconte, de la reproduire dans son vrai jour, c’est l’esprit qui l’inspire. Or, l’esprit de système a beau se modérer, prendre une allure grave et compulser les documens : il n’en laisse pas moins son empreinte sur les événemens, sur les caractères, sur le mouvement des choses et des opinions. Le livre de M. Vaulabelle, en un certain sens, n’est point une histoire : c’est l’opinion du libéralisme républicain et révolutionnaire sur lui-même et sur les autres. Cette époque de la restauration présente un spectacle frappant : à mesure qu’elle se développe, tous les élémens de prospérité s’accroissent dans le pays, et en même temps, par une coïncidence étrange, dans le domaine politique, les haines ne font que s’envenimer, les esprits s’exaspèrent, les luttes prennent un caractère extrême ; chaque jour se creuse et s’élargit l’abîme où le libéralisme ne croyait entraîner que la royauté traditionnelle, et où il est tombé lui-même. Plus on considère ce temps, plus il s’y attache une sorte de mélancolie, quand on voit tant d’acharnement, tant de passion, tant d’ardeur à se précipiter vers un dénoûment violent, et partout le sentiment, — crainte ou espoir, — du peu de durée de cette sérieuse et grande expérience constitutionnelle. Dans une discussion fameuse, le général Foy raillait les efforts qu’on faisait pour fonder la stabilité : «… Il y avait des ministres il y a sept ans, disait-il ; où sont-ils ?… Qui songe à se souvenir des plans de gouvernement qu’ils avaient arrêtés ? Y a-t-il depuis un demi-siècle un système qui ait été suivi, un ministère qui ait subsisté, une vérité ou une réputation politique qui ait duré sept ans ? Que serons-nous, que serez-vous dans sept ans ?… » Et l’illustre orateur ne voyait pas qu’en parlant ainsi il mettait à nu un des malheurs de notre pays : c’est que rien n’y dure, rien ne s’y affermit ; c’est que depuis soixante ans il y a une énorme déperdition détalent et de forces sans fruit, sans résultat, pour tourner dans le même cercle d’épreuves ; c’est qu’à l’esprit politique, qui triomphe par la sagesse, par le patriotisme, par l’action régulière et légale, nous sommes sans cesse portés à substituer l’esprit de conquête par effraction ; c’est que les oppositions prennent trop bien leur parti de la destruction des gouvernemens : d’où il suit que les gouvernemens détruisent, quand ils peuvent, les oppositions, et de destructions en destructions, d’essais en essais, la France suit cette carrière où elle fait quelquefois le scandale, quelquefois l’étonnement et l’admiration du monde. Rentrons dans l’histoire d’aujourd’hui.

Une lumière de plus s’est faite sur la situation réciproque de la France et