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a passé de sa fleur à sa maturité, elle doit toucher aujourd’hui aux limites de l’extrême vieillesse, et c’est précisément la thèse qu’affectionne l’incrédulité polie de nos jours. Nous qui n’avons pas le même intérêt à l’établir, nous pensons hardiment qu’il n’en est rien. Nous n’accordons au moyen-âge, ni en littérature, ni en philosophie, ni en politique, aucun brevet ni exclusif ni éminent de catholicisme. L’histoire de l’église au moyen-âge est une des phases de sa vie immortelle et toujours renaissante. D’autres l’ont précédée, d’autres l’ont suivie, qui ne lui cèdent ni en grandeur, ni en sainteté, ni en éclat. L’action de l’église au moyen-âge n’est son état ni essentiel ni idéal : c’est un accident glorieux, mais passager. En essayant de faire voir les causes qui l’ont amené, la véritable origine, le véritable caractère qu’il faut lui attribuer, on se convaincra, j’espère, de l’erreur profonde de ceux qui confondent le corps éternel de l’église avec le vêtement qu’il a revêtu un jour.

Jamais l’action intelligente et douce de l’église ne fut plus remarquable qu’à sa première apparition sur la scène du monde. Par une exception qui le distingue de toutes les religions ordinaires, le christianisme a pris naissance, non pas dans des temps semi-héroïques et semi-barbares, mais au sein d’une civilisation toute formée. Son fondateur ne fut point un législateur ni un sage mis au rang des dieux par la reconnaissance de ses concitoyens pour avoir donné des lois à sa ville natale, inventé ou introduit les arts utiles. Quand Jésus naissait obscurément dans la Judée, l’empire était pacifié, les lois romaines assises sur des bases solides, les mœurs romaines délicates et polies jusqu’à la corruption. La civilisation de l’empire s’était tout entière développée en dehors du christianisme, à l’ombre du culte des faux dieux. Tout y portait l’empreinte de l’idolâtrie. Les lois civiles et politiques, instituées d’abord par ces patriciens qui étaient à la fois prêtres et jurisconsultes, puis par ces césars dont le souverain pontificat était la première dignité, étaient pénétrées en tout sens par le polythéisme. Les arts, les lettres, les mœurs privées, tout était païen. Aucun monument qui ne fût sous l’invocation d’une divinité, aucun poème qui n’en célébrât la mémoire, aucun festin qui ne commençât par une libation, aucun toit domestique qui ne brûlât un feu sacré devant des dieux lares. Ainsi, parfaitement indépendante du christianisme, cette civilisation avait dû lui être très décidément hostile; elle n’y avait pas manqué. S’écartant, à son égard, de ses habitudes de tolérance politique, la société romaine avait prodigué au christianisme le mépris, l’outrage et la persécution. Pendant trois siècles, la religion chrétienne avait grandi dans l’ignominie et dans les supplices. Les sages l’avaient raillée, les politiques l’avaient châtiée, la populace l’avait poursuivie de ses huées farouches et de ses clameurs homicides.