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perdu aujourd’hui le charme de la nouveauté, apparaissait alors en France sous sa première forme. Ce genre mixte entre la tragédie et la comédie, introduit par La Chaussée et par Diderot, très loué par les uns, très attaqué par les autres, n’offrait point de précédens dans notre littérature, et par cela même captivait naturellement un esprit tourné aux découvertes. Ajoutons que, dans l’exécution, ce genre présentait plus de facilité que les deux autres, et l’on comprendra qu’avant de songer à laisser une trace dans la comédie, en rajeunissant ses formes et en étendant ses attributions, Beaumarchais, sans trop s’inquiéter de sa véritable aptitude, se soit précipité avec son entrain ordinaire vers le drame domestique et bourgeois, qui lui semblait un monde inconnu, dont Diderot était le Christophe Colomb et dont il espérait devenir le Vespuce.

S’il est vrai, comme l’a dit M. de Bonald, que la littérature est l’expression de la société, et cela est vrai surtout de la littérature dramatique, il n’y a point lieu de s’étonner que le brillant théâtre du XVIIe siècle n’ait pu suffire au siècle suivant. Par la distinction tranchée des genres, des tons et des personnages tragiques ou comiques, par le choix des sujets et la contexture de l’action, ce théâtre était la fidèle image d’une société élégante et réglée, où l’aristocratie de cour donnait partout l’impulsion en matière de goût. À mesure que les mœurs aristocratiques s’altèrent, que les rangs commencent à se rapprocher, que les intelligences tendent à se niveler, on voit naturellement se produire sous différentes formes le besoin de l’innovation au théâtre dans le choix des sujets et dans les combinaisons dramatiques. C’est ainsi qu’à côté des tentatives de Voltaire et de Ducis pour modifier plus ou moins l’ancienne tragédie sans la détruire, on voit naître, — sous le nom de comédie larmoyante avec La Chaussée, de tragédie domestique, de comédie sérieuse ou de drame bourgeois, avec Diderot, Sedaine, Beaumarchais, Sébastien Mercier, — un genre nouveau qui se présente d’abord dans des proportions assez mesquines, qui a grandi depuis sous des influences diverses, et qui est devenu ce que nous appelons aujourd’hui le drame, c’est-à-dire, en prenant le mot dans son acception la plus générale, une forme de composition en vers ou en prose plus ou moins affranchie des règles sévères de l’ancienne législation dramatique.

Cette école des dramaturges du XVIIIe siècle a enfanté de nombreux ouvrages, et déjà presque tous sont morts ; il n’en est guère resté que trois au théâtre : le Philosophe sans le savoir, de Sedaine, et deux des trois drames de Beaumarchais : Eugénie, qui se joue encore parfois, quoique très rarement, et la Mère coupable, qui se soutient. Cependant, si cette école a été stérile en productions durables, elle n’en a pas moins son importance dans l’histoire du théâtre par l’action qu’ont exercée