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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

et elle se moque elle-même de son nez très joyeusement ; mais elle avait une jolie tournure, une physionomie piquante et des yeux charmans. Ses yeux ont inspiré beaucoup de poètes inconnus ; voici comment l’un d’entre eux les chante sur l’air De tous les capucins du monde :

 
Quels yeux vous a faits la nature,
Julie ! On voit dans leur structure
Le contraste le plus flatteur.
Car ils ont par double fortune
De la blonde l’air de langueur
Et le feu brillant de la brune.

Sans être aussi bonne musicienne que sa sœur cadette, Julie avait du talent sur la harpe ; elle jouait même du violoncelle ; elle savait l’italien et l’espagnol ; elle a composé les vers et la musique d’une quantité de chansons qu’elle improvisait à tout propos. Ses vers sont en général plus remarquables par la gaieté qui les anime que par leur valeur poétique. Cependant il est quelques pièces d’elle dans le genre sérieux qui ne sont pas dénuées de talent ; mais c’est surtout dans ses lettres familières que l’esprit de Julie se déploie avec toute sa grâce et toute sa vivacité. Nous choisirons parmi ces lettres divers passages qui nous montreront la sœur de Beaumarchais à différens âges. Voici d’abord son style de très jeune fille:


« Il faut que tu saches, écrit-elle à une amie nommée Hélène, il faut que tu saches sur quel ton de folie j’en suis avec ton frère. Son air d’intérêt pour moi, dont je t’ai parlé il y a un mois, n’a fait que croître et embellir singulièrement depuis le départ de nos amies pour la campagne. Il venait presque tous les soirs souper avec nous, et de là promener jusqu’à minuit ou une heure ; là, ma chère Lhénon[1], il m’en contait d’une façon assez gothique à la vérité, mais qui n’était pas mal plaisante, et moi de riposter sur le même ton, avec l’air de folie que tu m’as toujours connu ; mais, au milieu de toutes ces plaisanteries, j’ai quelquefois trouvé des tournures assez heureuses pour le persuader sérieusement que je ne l’aimais pas, et je l’en crois convaincu, quoique je ne lui aie jamais dit tant de douceurs que je le fais à présent, au moyen d’une convention que nous avons faite de nous aimer deux jours de la semaine ; il a choisi le lundi et le samedi, moi j’ai pris le jeudi et le dimanche. Dame ! ces jours-là, nous nous disons des choses bien tendres, quoique nous soyons convenus qu’il y en aurait toujours un de farouche quand l’autre l’aimerait. »


À propos de ce même frère, Julie écrit encore à son amie :


« Ma dernière t’a rendu ton frère dans le meilleur état. Que veux-tu que je te donne encore ? puis-je te faire un présent plus honnête ? Il est dans un embonpoint qui te ferait désirer de le manger à la croque au sel, si tu ne savais comme moi qu’un avocat est peut-être de tous les mets le plus coriace et le plus indigeste. »

  1. Lhénon, diminutif d’Hélène.