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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/540

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« MIRZA, s’éveillant. — Jette donc un voile dessus.

« JUDITH. — Sois forte, Mirza; je t’en conjure, sois forte. Chacun de tes frémissemens me coûte une part de moi-même. Quand tu te recules en tremblant, quand tu détournes tes yeux avec horreur, quand je vois tout ton visage pâlir, il me semble que j’ai accompli un acte contraire à la nature, et alors il faut que moi-même... (Elle saisit vivement l’épée. Mirza s’élance à son cou.) Réjouis-toi, mon cœur; Mirza peut encore m’embrasser! Non. Malheur à moi ! elle s’est précipitée sur mon sein, parce qu’elle ne peut pas voir le cadavre, parce qu’elle craint de s’évanouir une seconde fois; ou peut-être est-ce cet embrassement même qui va te faire évanouir? (Elle la repousse loin d’elle.)

« MIRZA. — Tu me fais bien du mal, Judith, et plus encore à toi-même.

« JUDITH, prenant sa main avec douceur. — N’est-ce pas, Mirza, si c’était vraiment une chose horrible, si j’avais vraiment commis un crime, tu ne me le ferais pas sentir? Si je voulais me juger moi-même et me condamner, tu me dirais : « Tu es injuste pour toi, Judith; ce que tu as fait est un acte héroïque. » (Mirza se tait.) Ah! figure-toi que je suis à tes pieds en suppliante, que je me suis déjà condamnée et que de toi seule j’attends ma grâce. Oui, c’est un acte héroïque, car cet homme, c’était Holopherne... et moi, je suis une créature comme toi. C’est plus encore que de l’héroïsme; où est le héros à qui sa glorieuse action a coûté la moitié seulement de ce que m’a coûté la mienne?

« MIRZA. — Tu parles de vengeance; je ne te ferai qu’une seule question : Pourquoi es-tu venue ici dans tout l’éclat de ta beauté ? Si tu n’étais pas venue dans ce camp, tu n’aurais pas eu à te venger d’un outrage.

« JUDITH. — pourquoi je suis venue! C’est la misère de mon peuple qui m’a poussée ici; c’est la famine de ces malheureux; c’est le souvenir de cette mère qui s’est ouvert la veine pour apaiser la soif de son enfant... Ah! maintenant je suis réconciliée avec moi. J’avais oublié tout cela en ne pensant qu’à ma propre injure.

« MIRZA. — Tu l’avais oublié ! Ce n’était donc pas cela qui te poussait quand tu plongeas ta main dans le sang?

« JUDITH, lentement et comme anéantie. — Non.... non.... tu as raison.... Ce n’était pas cela... Rien ne m’a poussée à ce meurtre, si ce n’est la pensée de l’affront que j’ai subi... Ah! voilà le tourbillon où ma conscience se perd! Si une pierre avait brisé la tête d’Holopherne, on devrait à cette pierre plus de reconnaissance qu’à moi. De la reconnaissance! ai-je la prétention d’en exiger? Il faut que je porte toute seule le poids de ce que j’ai fait, et ce poids m’écrase

« MIRZA. — Le jour n’est pas loin; ils nous martyriseront toutes deux, s’ils nous trouvent ici; ils nous arracheront les membres l’un après l’autre.

« JUDITH. — Crois-tu vraiment qu’on puisse mourir? Je sais bien que tout le monde le croit et qu’on est obligé de le croire. Autrefois je le croyais aussi. Maintenant la mort me semble un non-être, une impossibilité. Mourir! Ah! ce qui me ronge le cœur en ce moment me le rongera pendant l’éternité. Ce n’est pas comme un mal de dents ou un accès de fièvre; c’est une chose qui fait corps avec moi, et en voilà jusqu’à la fin des siècles... Oh! on apprend bien des choses quand on souffre. (Montrant Holopherne.) Celui-là non plus n’est pas mort. qui sait si ce n’est pas lui qui me dit tout cela? qui sait s’il