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Enfin, après avoir éprouvé quelque déception de cœur, quoiqu’en général ses lettres annoncent plutôt une grande vivacité d’imagination qu’un besoin d’aimer bien impérieux, Julie se tourna de plus en plus vers les idées religieuses. L’année même où parut le Mariage de Figaro, en 1784, par un contraste assez piquant, la sœur de Beaumarchais publia sous l’anonyme, à un petit nombre d’exemplaires, un volume petit in-12 intitulé l’Existence réfléchie, ou Coup d’œil moral sur le prix de la vie. C’était un extrait de pensées empruntées à Young, à plusieurs autres auteurs, et entremêlées parfois de pensées venant de Julie elle-même. À la suite du manuscrit se trouvait un recueil de prières et une paraphrase du Miserere composée par la sœur de Beaumarchais, et qui ne figurent point dans le volume publié[1].

Un extrait de l’avertissement placé en tête de ce livre par Julie suffira pour donner une idée du ton et du but de l’ouvrage :


« J’aimais à lire, dit-elle, la belle poésie d’Young, j’admirais son sublime ouvrage ; mais il fatiguait mon esprit par trop d’exaltation et d’enthousiasme Je le voulais plus simple et plus à ma portée ; j’en ai fait cet extrait que j’ai mêlé de réflexions prises d’autres auteurs.

« Comme ce travail devait rester en manuscrit, je ne me suis point prescrit de règles en le faisant ; partout où j’ai trouvé dans mes lectures une idée sage, élevée, une pensée noble et touchante, même un point de morale bien traité, je l’ai encadré dans cet ouvrage uniquement fait pour moi, pour consoler mon ame et fortifier mes principes par des méditations profondes.

« Cependant une amie connue par son esprit, sa vertu, ses lumières, et qui peut beaucoup sur mon cœur, a désiré le répandre et voudrait qu’il fût imprimé. Puisse-t-il faire à ceux qui le liront le bien qu’il m’a fait à moi-même !…

« Si cet extrait produit un peu de bien, s’il peut éveiller dans les âmes sensibles, mais quelquefois trop dissipées, le sentiment intime et consolant d’un Dieu qui préside à tout et qui nous aime, je n’aurai point à regretter d’avoir fait un travail ingrat, sans ressource pour l’amour-propre, et où je n’ai d’autre mérite que d’avoir réduit en un très petit volume toute la moralité qu’on peut tirer des situations de la vie et présenté la seule manière noble et touchante d’en bien user pour le bonheur. À présent je peux dire comme Young : « Lassée des longues erreurs du monde et de ses bruyantes folies, détrompée de mes vaines espérances, au bout de ma carrière, je me suis enfin retirée dans la solitude. J’ai banni de mon ame les vains désirs qui l’ont tourmentée, je me suis promis de ne plus quitter ma retraite, et attendant en paix l’heure de mon repos, je charme le soir de ma vie par des ouvrages utiles et sérieux. »


Singulier pendant au Mariage de Figaro ! En devenant plus pieuse,

  1. La Biographie Universelle de Michaud, à l’article Caron (Julie), en consacrant quelques lignes à la sœur de Beaumarchais, semble douter si l’ouvrage en question est d’elle ou d’un autre écrivain nommé Demandre. — L’ouvrage est bien réellement de Julie ; j’en ai le manuscrit tout entier écrit de sa main, avec le visa du censeur, et une lettre de Letourneur destinée à Julie ; celle-ci parle souvent de son livre dans sa correspondance, et elle en parle jusque dans son testament.