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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/602

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nouvelles, espérant rencontrer au moins de la variété dans leurs libres allures. Il n’en a rien été, et le même air joué sur des tons différens finit par fatiguer l’indulgence du lecteur, qui se lasse d’un dévergondage de style et de mœurs dont l’apparente drôlerie n’est due qu’à des procédés de facture mal déguisés. La manière d’arriver au burlesque est une en effet : elle consiste à établir peu ou point de relations entre les idées et le style. Comme tous les corps formés de parties hétérogènes, le burlesque renferme donc un principe de corruption. Aussi ne saurions-nous mieux résumer l’impression générale du public à l’égard des œuvres fantaisistes qu’en empruntant à Jonhson le jugement qu’il a porté sur l’auteur d’Hudibras : « Tout ce qui n’est pas naturel ne peut jamais avoir à nos yeux que le charme de la nouveauté. Nous l’admirons pendant quelque temps comme une chose extraordinaire; mais bientôt ce qui a cessé d’être extraordinaire n’est plus que difforme. C’est une ruse qui, répétée plusieurs fois, se découvre d’elle-même. »

Les fantaisistes croient à leur jeunesse et ne doutent pas de leur avenir; ils se trompent. Qui prétend se passer du temps pour soi-même doit se méfier du temps pour sa renommée, car il manifeste ainsi son dédain de l’expérience et des leçons qu’elle apporte, leçons d’art et de goût aussi bien que leçons de morale. Sans doute il est beau de tomber jeune dans sa gloire et de se coucher jeune dans sa tombe : la jeunesse fait une auréole au poète qui ne laisse au monde que les prémices de son imagination ; mais bien différent est le sort de ceux qui condamnent leur existence à une jeunesse pour ainsi dire artificielle, et qui n’ont pour éclairer leur marche que le souvenir d’une lueur disparue. Ils ne font guère que donner de l’avance aux heures de l’oubli. D’ailleurs, qui trompent-ils? Est-ce que les pensées ne reçoivent pas de l’âge une empreinte ineffaçable comme les rides qu’impriment au front les années? Chercher à rajeunir forcément ses idées est chose aussi inutile et plus ridicule peut-être que d’essayer de rajeunir son visage ou sa démarche Où sont en effet pour l’esprit les outrages qu’il faille ou réparer ou celer? L’expérience n’est-elle pas une hôtesse digne de prendre la place de la jeunesse qui s’envole? C’est pour l’avoir méconnue que la plupart des fantaisistes ignorent les leçons de l’histoire. Ce n’est point en effet d’aujourd’hui qu’on s’est pris à nier le sentiment dans la poésie, et à placer le salut de la littérature dans le culte des procédés et des systèmes. Au commencement de ce siècle, après les tourmentes révolutionnaires, Delille et Fontanes mirent la description à la mode. Les ressources de l’inspiration morale n’existaient plus, disait-on; il fallait en chercher dans la nature physique, sous peine de renoncer aux arts et à la poésie; l’on ajoutait que, chez les peuples vieillis, il n’y a plus rien à décrire que la nature, qui ne vieillit jamais. Il en résulta un triomphe momentané des talens d’imitation sur les arts d’imagination, sur l’invention et le génie. Cependant, en dépit de ces excuses d’une génération impuissante, la victoire fut à ces derniers. A deux orients différens parurent l’auteur de Corinne et le poète de René : le genre descriptif rentra dans le néant, et l’imagination reprit le sceptre. Des causes analogues auraient-elles par hasard engendré de nos jours des effets analogues? Après avoir proclamé, il y a cinquante ans, que tout était dit dans les langues et qu’il n’y avait plus qu’à décrire, proclamerait-on aujourd’hui que la ressource unique, pour ne point entièrement mourir, est de se traîner