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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/667

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entreprise (janvier 1849), le personnel ordinaire des garnis était notablement amoindri et modifié. La rareté des travaux avait éloigné un grand nombre d’ouvriers paisibles. Beaucoup d’hommes compromis dans les troubles politiques avaient disparu. Ces anciens locataires étaient remplacés en partie par de nouveaux que la crise industrielle venait de précipiter dans la misère. 2,360 garnis à bas prix, désignés par la préfecture de police, ne renfermaient alors que 21,567 hommes et 6,262 femmes. Comparativement aux années précédentes, les hommes étaient moins nombreux, parce qu’ils avaient été rudement atteints par l’orage; le nombre des femmes était augmenté, parce que beaucoup d’entre elles étaient restées sans ressources.

Toutes les conditions étaient représentées dans ces refuges de la misère, depuis les plus humbles jusqu’à celles qui donnent à quelques rares élus la considération et la renommée. Les plus nombreux étaient, parmi les hommes, les tailleurs, au nombre de 965, et les cordonniers, au nombre de 1,064. Plus de la moitié des femmes se disaient couturières, lingères, blanchisseuses ou domestiques. Quel triste enseignement ressort du contraste des professions ! Dans ces bas-fonds abjects, où tombent fatalement les gens sans ressources, il y avait 104 porteurs d’eau et 220 imprimeurs, 189 chiffonniers et 206 mécaniciens, 19 balayeurs et 22 médecins, 8 balayeuses et 13 femmes peintres. Les naufragés des professions libérales se sont trouvés relativement plus nombreux que les gens des métiers réputés misérables. On a rencontré, parfois sans pain et dans de hideux taudis, 11 avocats et 47 clercs d’étude, 13 instituteurs, 12 ingénieurs, 31 hommes de lettres ou journalistes, 90 artistes peintres ou dessinateurs, 196 artistes musiciens et 51 musiciennes, et de plus 267 personnes vaguement désignées comme exerçant des professions où la culture intellectuelle est de rigueur.

A Dieu ne plaise que tous les locataires des petits garnis soient voués à une dégradation irrémédiable! Il résulte au contraire des informations minutieusement prises que la moitié des femmes et le quart des hommes seulement ont une conduite suspecte. Le relevé de leurs moyens d’existence est d’ailleurs une mesure assez probable de leur moralité.

Un dixième seulement des habitans des garnis ont des ressources scandaleuses et souvent criminelles[1]. Dans le nombre de ceux qui se soutiennent par leur travail, il faut mettre à part 3 ou 4,000 ouvriers logeant en chambrées par esprit d’économie, et ne souffrant pas de leurs privations, puisqu’elles sont volontaires. Les autres vivent tant bien que mal de quelques travaux intermittens, des dettes qu’ils font, de l’assistance qu’ils obtiennent. Sauf

  1. POPULATION DES PETITS GARNIS.
    Moyens d’existence Hommes Femmes Totaux
    Le travail 9,984 1,919 11,903
    Le crédit momentané du logeur 2,744 304 3,048
    Les secours publics, 7,633 2,468 10,101
    Hommes vivant de la débauche des femmes 324 «
    Femmes vivant de la prostitution « 1,307 1,631
    Ressources inconnues (probablement le vol) 882 264 1,146
    21,567 6,262 27,829