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gnature ? Quelle vraisemblance enfin que Beaumarchais, — contre lequel on arguait, d’autre part, que, dans les derniers temps de la vie de Du Verney, il ne pouvait presque plus arriver jusqu’à lui (ce qui était exact), — fût venu juste à point pour dérober un blanc-seing aussi étrangement disposé ? Sentant la faiblesse de cette argumentation, l’adversaire de Beaumarchais se rejetait alors sur le contenu de l’acte en question ; il prouvait sans peine que les clauses en étaient compliquées, diffuses, parfois même embrouillées, qu’il s’y mêlait des dispositions relatives à d’autres objets que le règlement de comptes. Ceci était vrai, mais prouvait précisément en faveur de Beaumarchais, car s’il eût pu ou voulu fabriquer un acte faux, il l’eût fait ou plus bref ou plus méthodique, tandis que, réglant une longue suite d’opérations avec un vieillard de quatre-vingt-sept ans, ce règlement avait dû naturellement se ressentir de la prolixité ou des fantaisies du vieillard[1].

Mais, dira-t-on, comment, n’ayant à lutter que contre d’aussi faibles argumens, Beaumarchais, après avoir gagné son procès en première instance, a-t-il pu le perdre en appel ? Sans parler encore ici de l’influence du rapporteur Goëzman, nous verrons plus tard un autre conseiller du parlement Maupeou avouer formellement, dans une lettre à Beaumarchais, que les bruits publics répandus sur lui ont été pour beaucoup dans sa décision ; il faut ajouter cependant, pour être exact, que ce procès offrait aussi quelques circonstances propres à faire peut-être une certaine impression sur des juges déjà fortement prévenus. Par exemple, si on a suivi avec attention l’exposé que nous venons de faire, on s’est sans doute déjà demandé où était le double de ce règlement de comptes entre Beaumarchais et Du Verney ; c’est ici que l’adversaire de Beaumarchais prétendait triompher de lui en disant : « L’acte écrit entièrement de votre main est supposé fait double entre vous et Du Verney ; or on n’a point trouvé ce double dans les papiers du défunt, donc ce double n’a jamais existé, donc l’acte que vous présentez est faux. » À cela Beaumarchais répondait : « Par suite des difficultés que vous, légataire défiant et avide, apportiez sans cesse à mes entrevues avec Du Verney, dans les derniers temps de sa vie, nous ne pouvions nous voir en quelque sorte qu’à la dérobée. Après un long débat par écrit sur le règlement de nos affaires, je lui ai envoyé les deux doubles de l’acte qu’il m’avait chargé de rédiger, tous deux

  1. À la vérité, l’avocat expliquait cette prolixité du style de l’acte en disant que le rédacteur, ayant soustrait un blanc-seing, avait été obligé de remplir deux pages pour arriver jusqu’à la signature de Du Verney ; mais si Beaumarchais avait été capable d’une pareille action, comme le tableau placé sur la troisième page de la feuille double était parfaitement inutile à la validité du règlement de comptes, rien ne l’aurait empêché de se servir d’une feuille simple, et, en écrivant son acte sur la page même dont l’extrémité portait la signature de Du Verney, il n’aurait eu qu’une page à remplir.