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correspondance avec Du Verney que Beaumarchais présentait à l’appui de cet acte ; enfin la disparition dans les papiers de Du Verney de tout document relatif à cet arrêté de comptes, toutes ces circonstances pour des juges non prévenus à l’égard d’un homme moins diffamé, attaqué par un adversaire moins puissant, se fussent naturellement expliquées par cette considération : — qu’un vieillard de quatre-vingt-sept ans, réglant avec un homme détesté par son héritier des affaires qu’il ne lui plaisait pas de soumettre à ce même héritier, avait bien pu s’entourer de quelque obscurité, et que l’héritier avait intérêt à épaissir ces ténèbres, au lieu de les dissiper. Dans la situation des choses et des personnes, ces mêmes circonstances, exploitées et dénaturées par un avocat insidieux et retors, prenaient une physionomie assez noire pour qu’on s’explique bien cette apostrophe échappée à la colère de Beaumarchais contre certains avocats : « Oh ! que c’est un méprisable métier que celui d’un homme qui, pour gagner l’argent d’un autre, s’efforce indignement d’en déshonorer un troisième, altère les faits sans pudeur, dénature les textes, cite à faux les autorités et se fait un jeu du mensonge et de la mauvaise foi ! »

Cependant ce procès, engagé en octobre 1771 devant le tribunal de première instance, qu’on appelait alors les requêtes de l’hôtel, fut d’abord jugé en faveur de Beaumarchais. Une première sentence, en date du 22 février 1772, débouta le comte de La Blache de sa demande en rescision, et une seconde sentence, en date du 14 mars 1772, ordonna l’exécution du règlement de comptes argué de fraude. L’adversaire fit appel devant la grand’chambre du parlement.

Quoique victorieux dans ce premier combat, Beaumarchais en sortait cruellement meurtri ; l’avocat Caillard l’avait vilipendé à outrance ; l’animosité et le crédit du comte de La Blache excitaient contre lui la tourbe des nouvellistes. La mort de sa seconde femme, coïncidant avec ce déplorable procès, fournissait un aliment aux calomnies atroces dont j’ai déjà parlé. Ces calomnies circulaient dans les gazettes étrangères et dans ces feuilles manuscrites qui suppléaient si détestablement à la liberté de la presse ; elles trouvaient accès auprès de tous ceux qu’irrite l’élévation d’un homme qui a fait lui-même sa fortune, surtout quand cet homme n’est pas modeste, et il est bien reconnu que Beaumarchais ne l’était pas. Non content de détruire sa réputation, le comte de La Blache, qu’il nomme quelque part le premier auteur de tous mes maux, venait de le prendre en défaut et de lui porter un coup de Jarnac dans la circonstance suivante. Quelques jours avant le jugement en première instance, Beaumarchais, apprenant que son adversaire répandait partout le bruit que Mesdames de France l’avaient chassé de leur présence pour des faits déshonorans, avait écrit à la comtesse de Périgord, première dame d’honneur de la princesse Victoire, pour se plaindre des calomnies du comte, et demander à Mes-