Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/686

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette déclaration, immédiatement imprimée et publiée par le comte de La Blache, circule partout. Si elle n’empêche pas les juges en première instance, qui avaient vu la lettre de la comtesse de Périgord, de rendre justice à Beaumarchais, tout en ordonnant la suppression de la note indiscrète dont il s’était rendu coupable, elle trompe complètement le public, aux yeux de qui l’auteur de la note passe non pas seulement pour un indiscret qui a commenté à tort un témoignage d’estime très réel, mais pour un double imposteur qui, à l’appui d’un faux arrêté de comptes, produit une fausse attestation de probité. Pour comble de malheur, Beaumarchais, sentant qu’il a eu tort de commenter ainsi et d’exagérer le témoignage de la princesse Victoire, craignant de l’offenser en insistant sur cet incident, n’ose point publier la lettre de la comtesse de Périgord, qui explique son commentaire, et il est obligé de rester en silence sous le coup de ce soupçon d’imposture. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il se décide à répondre. En décembre 1773, dans un nouveau procès, attaqué encore une fois sur cet incident par le juge Goëzman avec la plus grande violence et la plus insigne mauvaise foi (Goëzman, qui connaissait la lettre de la comtesse de Périgord et feignait de l’ignorer, parlait d’un excès d’imposture), Beaumarchais publie enfin cette lettre en s’efforçant d’atténuer habilement l’usage indiscret qu’il en avait fait. Je viens d’expliquer très exactement en quoi consistait cette indiscrétion, et comment le comte de La Blache avait su en tirer parti.

Les choses en étaient là : le procès se poursuivait en appel ; Beaumarchais, luttant de son mieux contre un homme en crédit et une mauvaise réputation, se délassait de cette guerre de chicane en composant le Barbier de Séville, lorsqu’une aventure aussi étrange qu’inattendue vint mettre le comble aux embarras de sa situation et fournir un nouvel aliment à la haine de ses ennemis.


II. — UN ÉPISODE DE LA VIE SOCIALE AU XVIIIe SIÈCLE. — Mlle MÉNARD, BEAUMARCHAIS ET LE DUC DE CHAULNES.

Les détails de l’aventure dont il s’agit ici sont complètement ignorés du public. Dans son étude sur Beaumarchais, La Harpe se contente de dire : Il eut une querelle avec un grand seigneur qui lui disputait une courtisane. Le mot est un peu dur pour Mlle Ménard, avec laquelle on va faire connaissance, et qui n’était pas précisément ce que dit La Harpe. Dans son édition des œuvres de Beaumarchais qui a servi de type à toutes les autres, Gudin, réservant pour ses mémoires, restés inédits, le récit de la querelle avec le duc de Chaulnes, n’a publié, parmi toutes les lettres relatives à l’incident en question, que les deux plus vagues et les deux plus insignifiantes. Cependant Beaumarchais avait recueilli avec soin toutes les pièces de cette étrange affaire. Le dossier