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famille, c’était chez les Habsbourg que la tradition et le respect plaçaient toujours le véritable gouvernement de l’Allemagne ; lui, au contraire, il comprenait bien que, si le passé était l’apanage de l’Autriche, le présent et l’avenir appartenaient à la Prusse : là étaient la jeunesse, l’espérance, l’audace, le désir et la nécessité d’agir, là devaient se nouer et se dénouer pendant long-temps les destinées des nations germaniques. Il n’hésita pas et partit pour Berlin. Frédéric II y régnait encore. Stein lui fut présenté par M. de Heinitz, ministre d’état, et quelques jours après, au mois de février 1780, il entrait dans l’administration des mines. Ces fonctions toutes spéciales exigeaient beaucoup d’activité, d’exactitude et de patience ; il y rendit de grands services et fut envoyé bientôt dans la Marche avec les attributions de directeur. Cette vie de labeur exact et sans éclat ne convenait pas à une intelligence de cette valeur et eût promptement découragé une ame moins forte ; il y vit surtout une bonne discipline pour lui-même. C’était une occasion d’accomplir un devoir sans bruit, de dépenser beaucoup de talent et de zèle pour une récompense médiocre. Il aimait ce joug et s’y pliait noblement, soutenu par une vague confiance dans son étoile et ne doutant pas des compensations de l’avenir.

Il y avait plus d’une heure pourtant où sa tâche lui semblait bien lourde, sa solitude bien triste, et où cette active intelligence aspirait à un meilleur emploi de ses forces. L’occasion ne se fit pas attendre. Joseph II, pour relever la puissance de l’Autriche ébranlée par la guerre de la succession de Bavière, avait introduit des innovations hardies dans le droit public de l’Allemagne. Des archevêchés, des évêchés, des abbayes, indépendans jusque-là, étaient dépouillés de leurs privilèges, et sous ces réformes qui flattaient l’esprit du XVIIIe siècle se dissimulaient habilement de graves desseins politiques. Joseph II réservait ces postes importans à des princes de sa famille et se préparait ainsi une majorité certaine dans les collèges de l’empire. Pour accomplir des transformations si sérieuses, le jeune empereur avait compté sur l’assentiment de Catherine II, occupée alors de son établissement en Crimée et de ses progrès vers la Turquie ; l’Angleterre luttait contre l’Amérique ; la politique des ministres de Louis XVI n’inquiétait pas le frère de Marie-Antoinette, et le seul ennemi qu’il pût redouter, Frédéric II, n’était-il pas affaibli par l’âge ? On veillait cependant à Berlin. Attentif à tous les mouvemens de l’Autriche, Frédéric II signala le premier à ses ministres les projets de son jeune rival. Il y apporta même une impétuosité singulière ; son ardent génie se réveillait une dernière fois pour défendre l’œuvre de tout son règne. Ne pouvant compter ni sur la Russie, ni sur l’Angleterre, ni sur la France, il résolut de s’adresser à l’Allemagne elle-même : un traité devait réunir tous les petits états et protéger leur indépendance contre les envahissemens de l’Autriche.