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Quelques jours après les conférences où le baron de Stein décida le roi de Prusse à continuer la guerre, le 20 novembre 1806, Frédéric-Guillaume lui fit offrir, par le conseiller Beyme et le général Köckeritz, le ministère du comte d’Haugwitz. Stein paraît hésiter; il allègue son inexpérience des formes diplomatiques et ne dit pas encore le vrai motif, à savoir la nécessité d’une réforme complète dans l’organisation ministérielle, réforme qu’il avait si impérieusement demandée dans son mémoire du mois d’avril et dont le roi ne voulait pas. Le roi insiste, et, croyant avoir tourné la difficulté, par une lettre du 29 novembre il le nomme ministre intérimaire des relations extérieures. Une lettre du conseiller Beyme était jointe comme un commentaire aux paroles du monarque : « Je vois en vous, lui disait-il, celui que la Providence a réservé pour le salut de la monarchie prussienne. » Le roi ne connaissait pas toute l’obstination du baron de Stein; l’inflexible ministre refusa de rendre, même provisoirement, les services qu’on réclamait de son zèle; il voulait faire plier Frédéric-Guillaume et n’entrer aux affaires étrangères qu’après avoir renversé le cabinet intime dont il détestait l’influence. Sa lettre de refus est une reproduction opiniâtre des exigences hautaines exprimées dans son mémoire. Bien plus, il écrit encore un nouveau mémoire, un nouveau plan de réforme, concerté avec le général Rüchel et le prince de Hardenberg. Le roi pense désarmer cette volonté intraitable en instituant un ministère composé de trois membres qui délibéreront en commun et agiront directement avec le roi; il donne la guerre au général Rüchel, l’intérieur à Stein, les affaires étrangères au général de Zastrow. Ce n’est pas assez; le cabinet intime n’est pas supprimé, Beyitie et Lombard sont toujours Là, et le comte d’Haugwitz, quoique retiré en apparence de la politique active, conservera son influence secrète; le baron de Stein exige la suppression du cabinet, l’éloignement absolu de toutes les créatures du comte d’Haugwitz et le retour de M. de Hardenberg, dont le concours lui est indispensable. « Si le roi, s’écrie-t-il, persiste dans ses défiances à l’égard d’un tel homme, comment pense-t-il que je puisse être assuré de ma liberté d’action? » Nouvelles instances de la part du roi, nouveaux refus des trois ministres nommés.

Cependant l’armée française avançait toujours vers les extrémités de la Prusse. Lannes et Davoust venaient de battre les Russes à Pulstuk, et Bernadotte occupait les routes de Kœnigsberg. La famille royale se retire aux derniers confins du pays, à l’embouchure de la Dange, dans la petite ville de Memel. Stein, veillant au lit de mort d’un de ses enfans, atteint lui-même de cruelles souffrances, se disposait à partir pour suivre le roi dans sa fuite, lorsqu’il reçut une lettre de Frédéric-Guillaume où la colère trop justifiée du monarque éclatait avec violence. Le même jour, M. de Stein envoya au roi sa démission.