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noblesse; il voulait qu’elle demeurât un corps à part, sans privilèges il est frai, mais investie toujours de cette autorité que donnent la fortune et les lumières; il voulait, dis-je, en faire un corps à part, une classe d’élite où l’état pût recruter des serviteurs dévoués, habiles, et qui fût capable de donner de grands exemples aux classes inférieures; il rêvait une aristocratie conforme à tout ce que renferme un tel titre, une légion de vertu et d’honneur, régie par une sévère discipline et excluant de son sein tout membre qui souillerait la communauté. Ce n’étaient là chez lui que des projets destinés à compléter un jour son système; l’essentiel du moins était fait; les fondemens étaient assis, et les Prussiens, divisés jusque-là et comme parqués dans des catégories odieuses, commençaient à vivre de la vie d’une nation. En même temps, d’importantes opérations financières réparaient peu à peu les désastres de ces funestes années. Le général Scharnhorst, ministre de la guerre, s’associait énergiquement à l’œuvre du baron de Stein. Ce n’était pas assez d’avoir régénéré l’armée, il fallait l’augmenter sans bruit et préparer des ressources pour l’avenir, sans violer ouvertement le traité de Tilsitt, qui limitait à quarante-deux mille hommes les forces militaires de la Prusse. Un règlement secret du 31 juillet 1808 organisa sur toute la surface de la monarchie une sorte d’armée mystérieuse, recrutée, instruite, exercée régulièrement dans chaque village, et prête à se lever au moindre signal. Le général Scharnhorst était devenu l’ami dévoué de M. de Stein; il disait un jour au général d’Hoffmann : « Je ne connais que deux hommes qu’aucune puissance humaine ne fait trembler, c’est Stein et Blücher. » Il s’était donné sans réserve à ce ministre intrépide, qui animait tout autour de lui et qui semblait l’ame même de la Prusse se relevant du fond de la tombe.

À cette période d’activité enthousiaste appartient une œuvre aussi étrange qu’audacieusement conçue, la création du Tugendbund. Au moment où M. de Stein prenait la direction des affaires, au mois d’octobre 1807, un jeune magistrat de Braunsberg, M. Henri Bardeleben, lui avait adressé un écrit intitulé l’Avenir de la Prusse, où il engageait tous les citoyens à oublier leurs divisions, à se serrer autour du pouvoir et à ne former qu’un grand parti national. Peu de temps après, Bardeleben avait organisé avec quelques officiers et quelques savans une association singulière. Ils mettaient leurs efforts en commun, disaient-ils, pour combattre chez eux, chez les autres, chez le gouvernement, toute pensée d’égoïsme. Ils se donnaient le titre d’Association scientifique et morale (sittlich wissenschaftlicher Verein). Les premiers membres étaient, avec le fondateur, le général Gneisenau, le général Grollmann, le professeur Krug. Peu à peu leur nombre s’éleva jusqu’à vingt. Ils présentèrent au roi les statuts de leur société et la liste des membres; le roi approuva tout. Bientôt on ne compta plus les affiliés