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Voilà pour la politique étrangère ; mais son œuvre à l’intérieur, Qu’est-elle devenue ? Son œuvre est double : il a opéré de grandes réformes civiles, et il a créé ce patriotisme enthousiaste et jaloux auquel on a donné le nom de teutonisme. Ses réformes durent encore et dureront ; sans doute elles ne lui appartiennent pas en propre, il les avait empruntées aux principes de 89 ; qu’importe ? il a eu l’honneur de les introduire dans son pays ; c’est la meilleure part de sa renommée, et toutefois, alors même qu’il faisait réussir ces innovations précieuses, ne repoussait-il pas l’esprit qui doit les féconder ? Le teutonisme a brouillé tout. Le teutonisme, né sous l’influence russe, a toujours conservé la marque de cette bizarre origine ; de là des confusions inouïes. C’est le teutonisme qui a empêché le développement naturel des idées et servi de masque aux systèmes rétrogrades. Un des pamphlétaires qui avaient prêté leur plume à M. de Stein pour propager l’enthousiasme de 1813, le dramaturge Kotzebue, était, cinq ans plus tard, un des serviteurs à gages de la diplomatie russe, et l’étudiant fanatique qui le frappa de son poignard avait applaudi sans doute en 1813 aux déclamations de sa victime. Quel enseignement dans ce seul fait ! Kotzebue et Karl Sand, voilà les deux héritiers de M. de Stein, voilà les deux partis issus de sa folle entreprise, l’un qui se donne à la Russie, l’autre qui s’exalte en sens contraire et ne recule point devant l’assassinat ! Tous les désordres, toutes les contradictions fiévreuses de la pensée allemande pendant la période qui suit 1815 sont la conséquence logique de l’agitation que M. de Stein a semée. Ces promesses menteuses, ces principes absurdement mélangés, ces enivremens et ces délires patriotiques mis sous le patronage de Saint-Pétersbourg, que pouvaient-ils produire, en vérité, sinon le découragement chez les uns, la fureur chez les autres, la confusion chez tous ?

Ce n’est pas tout : le teutonisme n’a pas seulement donné naissance à un patriotisme hypocrite ou furieux, source de misères sans nombre ; il a nui même au patriotisme véritable. Qui sait si les plus tristes erreurs de l’Allemagne d’aujourd’hui ne viennent pas de là ? La génération qui a succédé aux hommes de 1813 s’est révoltée contre cet étrange parti national qui enchaînait l’Allemagne à la Russie, ou bien retournait au moyen-âge et semblait consacrer toutes ses forces à la résurrection des siècles théocratiques. Compromis par de telles équipées. le patriotisme a été renié insolemment. Trente ans après la journée de Leipzig, dans ce pays qui s’était levé comme un seul homme aux Discours de Fichte et aux chansons de Koerner, on a vu des philosophes et des poètes anéantir à coups de formules l’idée même de la patrie ou la bafouer dans des strophes sans vergogne. La vieille Allemagne n’a plus été qu’un objet de dérision. « Ne soyons plus Allemands, a-t-on dit, soyons hommes ! » De là l’humanisme, l’athéisme, et toutes les