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Auguste fait un discours véhément contre Claude ; il a été trop stupide pour être dieu. Sur le discours d’Auguste, l’Olympe change d’avis, comme si l’Olympe était le sénat romain, et Claude est exclu ; il ne sera pas dieu. Que sera-t-il donc ? Il sera changé en citrouille, qui est, je ne sais pourquoi, un emblème de la bêtise, et de là le titre de la satire de Sénèque, l’Apocolocuntosis, la métamorphose en citrouille.


II.

Tels étaient les travaux ou plutôt les exercices littéraires de Rousseau à son retour à Paris. Il s’était promis de retourner à Genève, et même il avait envie de s’y établir. Il y renonça, dit-il dans ses Confessions, parce que la dédicace de son Discours sur l’inégalité ne fut pas accueillie comme il l’espérait ; mais ce qui le détermina surtout à renoncer à Genève, ce fut l’établissement de Voltaire auprès de cette ville. « Je compris[1] que cet homme y ferait révolution, que j’irais retrouver dans ma patrie le ton, les airs, les mœurs qui me chassaient de Paris ; qu’il me faudrait batailler sans cesse, et que je n’aurais d’autre choix dans ma conduite que d’être un pédant insupportable ou un lâche et mauvais citoyen. » Rousseau avait un peu contre Voltaire la haine du pauvre contre le riche, non qu’il enviât sa richesse, non qu’il n’ait pas su parfois vivre d’assez bonne grâce auprès des riches et des grands seigneurs de son temps. Ce qu’il détestait dans Voltaire, c’était l’aisance et l’ascendant que lui donnait sa fortune, et qui faisaient contraste avec l’allure timide et gênée qu’avait Rousseau. En face d’un grand seigneur bienveillant, Rousseau, qui se sentait son supérieur par le génie, ne souffrait guère d’être son inférieur par la fortune et par le rang, il retrouvait son compte d’un autre côté. En face de Voltaire, il se sentait son égal par le génie et son inférieur par tout le reste. Je sais bien que ce reste, qui se compose des biens accidentels du monde, peut et doit être méprisé par un philosophe ; mais on déteste souvent chez les autres les biens qu’on méprise pour soi. C’est ici le lieu d’exposer rapidement les rapports de Rousseau avec Voltaire.

En 1755, Lisbonne avait été à moitié détruite par un tremblement de terre. Voltaire, qui était à l’affût de toutes les catastrophes et de tous les maux de l’humanité pour en faire des argumens contre Dieu, ne manqua pas de saisir cette occasion, et il fit un poème sur le tremblement de terre de Lisbonne, où il attaqua vivement la maxime de Leibnitz et de Pope, que tout était bien. Ce n’était pas que Voltaire ne crût en Dieu ; mais je dirai volontiers, empruntant mon exemple à l’histoire des gouvernemens parlementaires, que Voltaire aimait le bon Dieu comme beaucoup de gens dans l’opposition aimaient le roi,

  1. Confessions, livre VIII.