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loups-garous, — et de 1596 à 1600 le démonographe Jean Boguet, qui remplissait dans cette province les fonctions de grand-juge, exerça contre les prétendus lycanthropes des poursuites si actives, qu’il se vantait, comme d’une œuvre très méritoire, d’en avoir, à lui seul, fait périr plus de six cents. En 1498, le parlement de Paris s’était montré beaucoup plus raisonnable, en cassant un jugement rendu par le lieutenant-criminel d’Angers contre un habitant de Maumusson, près Mantes, qui prétendait avoir erré plusieurs années sous la forme de loup, et en envoyant ce malheureux à l’hôpital Saint-Germain-des-Prés, où il fut enfermé et traité comme maniaque.

Cette bizarre histoire de la lycanthropie, racontée dans les plus exacts détails, ajoute une page curieuse à l’histoire des hallucinations de l’esprit humain. M. Bourquelot a consulté pour l’écrire une masse considérable de documens, et nous l’engageons à ne point borner ses recherches sur la mythologie du moyen-âge au mémoire dont nous venons de parler. Ce monde fantastique dont il a si bien commencé à étudier les prodiges, ce monde de la terreur et du rêve, n’a point de limites ; on peut s’y promener à l’aise, et il en est des peuples comme des hommes : en vieillissant, ils se reportent toujours avec intérêt aux souvenirs de leur enfance, aux temps heureux où ils n’avaient point encore appris à douter, même des mensonges.

Deux études numismatiques de M. Duchalais, l’une sur les monnaies de la ville de Cnide, l’autre sur les monnaies de la Numidie et de la Mauritanie, représentent dignement, dans les Mémoires de la Société des antiquaires, cette vieille et respectable science de la numismatique, qui forme comme la base de la chronologie et de l’histoire positive. M. Duchalais est sans contredit l’un des hommes qui, de notre temps, ont fait faire à cette science le plus de progrès. La plupart des nombreux mémoires qu’il a publiés, sans parler de sa Numismatique gauloise, contiennent chacun soit une rectification importante, soit une découverte curieuse et inattendue, et, comme preuve, nous indiquerons, dans le recueil qui nous occupe, ses recherches sur les monnaies antiques de la Numidie et de la Mauritanie. Non-seulement il restitue là un siècle entier de la numismatique africaine, mais encore il trace d’après les monnaies elles-mêmes, et en faisant parler des légendes inexpliquées ou des types méconnus, un tableau très attachant de la civilisation numide dans ses rapports avec la civilisation orientale, dans ses luttes contre la conquête romaine et le génie des peuples gréco-latins. Toutes les phases de cette lutte et de la civilisation punique, M. Duchalais les retrouve sur les monnaies mauritaniennes, qui se montrent d’abord purement carthaginoises, adoptent ensuite des types helléniques, égyptiens, latins, puis des légendes à la fois puniques et latines, et enfin substituent entièrement au langage punique les légendes latines et grecques. Considérée de ce point de vue, la numismatique devient l’auxiliaire le plus puissant de la critique historique, ou plutôt elle se constitue comme une forme nouvelle de l’histoire, et, pour qui sait les interroger, les médailles parlent souvent plus haut que les livres.

CHARLES LOUANDRE.



V. de Mars.