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instant douteuse. Un tel poème évidemment n’a pu naître que chez les Visigoths, à une époque assez rapprochée de leur expulsion de la Gaule pour que le ressentiment, les préjugés haineux, les prétentions orgueilleuses fussent encore vivantes dans tous les cœurs contre le peuple et la lignée de Clovis.

Transportons-nous dans l’extrême Nord, au milieu des Scaldes du VIIIe et du IXe siècle, et lisons ces poèmes de l’Edda dont je parlais tout à l’heure : nous y retrouverons les noms de Ghibic, de Gunther et de Hagen[1] rattachés à ceux d’Attila et de Théodoric, tandis qu’il n’y est point question de Walter; ce n’est donc point par les Visigoths que la tradition d’Attila a pénétré en Scandinavie, c’est plutôt par les Burgondes et par les Franks. Mais les Scandinaves, tout en admettant les personnages traditionnels des nations du Rhin, y mêlèrent des figures qui n’appartiennent qu’à eux, des êtres d’une nature bizarre et fantastique qu’il est indispensable de connaître, pour bien apprécier l’Attila traditionnel dans le cadre où l’a jeté l’imagination des poètes de la Norvège et de l’Islande. Voici le sommaire des aventures dont ils font précéder celles du roi des Huns, et qui leur servent d’introduction obligée.

Le grand héros de cette introduction est Sigurd, que les poèmes allemands appellent Siegfried. Issu de la race Scandinave des Volsungs, il court les aventures lointaines pour montrer sa vaillance et arrive sur les bords du Rhin. Il apprend là qu’un trésor merveilleux est caché dans le flanc d’une montagne, sous la garde du dragon Fafnir, serpent doué de la parole et de la prescience de l’avenir. Entrer hardiment dans la caverne, tuer le monstre et ravir son trésor, c’est pour Sigurd une entreprise facile; puis, d’après une recette qu’on lui a donnée, il arrache le cœur du monstre, le fait griller et le mange : aussitôt une métamorphose s’opère en lui; il entend le langage des oiseaux, c’est-à-dire qu’il connaît tous les secrets de la nature, ces mystérieuses confidences que les oiseaux gazouillent entre eux au printemps, sous l’ombrage. Une variante germanique porte que le héros se baigne dans le sang du dragon, et qu’à l’instant sa peau se couvre d’une couche de corne ou d’écaille qui rend son corps invulnérable, un seul point excepté, une étroite place entre les deux épaules, où une feuille de tilleul s’est arrêtée pendant son bain. Le langage des oiseaux enseigne au vainqueur de Fafnir des choses plus précieuses mille fois que toutes les richesses de la terre et de l’onde, à savoir le moyen de se rendre invisible et celui de plaire à toutes les femmes. Pour éprouver

  1. Leurs noms ont reçu dans l’Edda des altérations conformes à la nature des dialectes scandinaves : Ghibic y devient Ghiuki; Gunther, Gunnar; Hagen, Höyni; je leur conserverai ici leurs dénominations véritables, telles qu’ils les portent dans les poèmes des Germains du midi.