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mensonge; mais le peuple n’en continua que plus fort à chanter sur tous les tons la Thuringienne Crimhilde et ses deux maris Siegfried et Attila. En dépit des beaux esprits du XVIe siècle et de leurs anathèmes contre les ignorans et les rustres qui écoutaient ces sottises et ne manquaient pas d’y croire, Siegfried et Théodoric, Crimhilde et Attila, descendus de la poésie à la prose, mais toujours populaires, défraient encore aujourd’hui les récits de la bibliothèque bleue d’outre-Rhin.


II. — CARACTÈRE DE L’ATTILA TRADITIONNEL. — SES FEMMES. — SA FIN TRAGIQUE.

Atli chez les Scandinaves, Atla chez les Anglo-Saxons, Athil, Athel, Hettel, Etzel chez les Allemands, sont les différens noms que la tradition donne au roi des Huns. Atli au pâle visage habite une citadelle bâtie près du Danube, où nuit et jour veillent des hommes d’armes : c’est là qu’il boit le vin à pleine coupe dans la grande salle de son Valhalla. Beaucoup moins rude et moins sauvage, l’Etzel des Allemands a fait d’Etzelburg, sa ville, un théâtre perpétuel de festins et de joutes, et le rendez-vous favori des guerriers et des dames. Si le roi des Huns gagnait au contact des héros de l’Edda une sorte de férocité norvégienne, en revanche il s’est grandement adouci dans les chants des Minnesingers ; il a pris en vivant près des chevaliers des idées et des vertus toutes chrétiennes. Cependant, si débonnaire qu’on le représente dans le dernier état de la tradition, où il se rapproche beaucoup du Charlemagne des poèmes romans, il plane toujours autour de lui on ne sait quelle sombre fatalité et comme une atmosphère chargée de catastrophes. Par une vague réminiscence des préjugés gothiques qui faisaient les Huns fils des sorcières et des mauvais génies, l’Atli des Scandinaves a pour mère une magicienne et pour sœur une valkyrie. L’une et l’autre tradition nous le peignent comme un conquérant rassasié de victoires et ne songeant plus qu’à la paix; dans les poèmes allemands, il est franc, ouvert, loyal ; les poèmes scandinaves lui donnent plus de finesse et de ruse. « Oh ! dit l’Edda, Atli était un roi prudent ! »

Arrivé au comble de la puissance, le roi des Huns a donc déposé les armes; il ne les reprend plus que par caprice ou pour servir ses amis. Que lui manque-t-il en effet? Le Hunalant, son empire, renferme douze royaumes puissans; « de la mer à la mer, tout est à lui. » Il n’a plus qu’à dépenser gaiement ses trésors dans une cour brillante où se passent les aventures les plus variées de combats et de galanterie. La reine Kréca, que les Scandinaves appellent Erkia, et les Allemands Herkhé ou Helkhé, fait les honneurs du palais, aidée par Théodoric, le miroir des héros, l’hôte et le fidèle ami du roi. Un poème