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boucliers; les flèches et les javelots se croisaient et se heurtaient dans l’air. Tout à coup une femme se précipite entre les combattans : c’était la reine Gudruna, que le bruit avait attirée hors de son palais; sa chevelure était en désordre; elle avait arraché les colliers qui chargeaient son cou, et les anneaux d’argent roulaient brisés sur la poussière. Elle embrassa tendrement ses frères et essaya de les réconcilier avec son mari; mais elle n’y réussit pas. Pendant la moitié du jour, la bataille dura sans se ralentir; le sang ruisselait sur la terre comme une rivière; enfin Gunther et Hagen, accablés par le nombre, sont faits prisonniers et enfermés tous les deux dans un cachot. Attila allait de l’un à l’autre, les menaçant de la mort s’ils ne lui déclaraient pas l’endroit où ils avaient caché son trésor; mais ni l’un ni l’autre ne voulait parler. « Hagen et moi, disait Gunther, nous nous sommes juré entre nous de ne jamais révéler notre secret; je ne puis te le dire, tant que Hagen sera vivant. » Alors on lui apporta un cœur sanglant placé sur un plateau : « Oh! ce n’est pas là le cœur d’Hagen l’intrépide, s’écria Gunther, c’est le cœur du lâche Hialla; il tremble sur ce plat, il tremblait deux fois plus fort dans la poitrine de son maître. » On tua alors Hagen, et on lui arracha le cœur. « Je reconnais celui-là, s’écria Gunther en le voyant; il ne tremble pas du moins, c’est le cœur de Hagen! Et maintenant, Attila, maintenant que je reste seul, écoute; cherche au fond du Rhin, le trésor y est tout entier : les anneaux et les bracelets d’or étincellent avec plus d’éclat sous les vagues du fleuve qu’ils ne feraient aux bras des Huns. » Attila, au comble de la colère, fait jeter le Niebelung dans une fosse remplie de serpens. Gunther avait sa lyre avec lui, il en frappe les cordes de son pied, et tous les hommes tressaillent, toutes les femmes pleurent, les serpens s’apaisent et les aspics s’engourdissent; mais la mère d’Attila, changée en vipère, s’élance sur lui et lui ronge le foie. Gunther expire en riant et va boire la cervoise avec les Ases à la table d’Odin.

Maintenant c’est le tour de Gudruna : à chacun sa vengeance, à chacun son jour de triomphe. Elle regrette surtout Hagen, son jeune frère, son frère préféré. « Nous avions été élevés ensemble, dit-elle, deux sous un seul toit; nos jeux étaient les mêmes, nous grandissions côte à côte comme deux jeunes arbres dans le verger de mon père; c’était toujours de colliers semblables que ma mère Brimhilde aimait à nous parer. Oh! je ne te pardonnerai jamais le meurtre de mes frères! et quoi que tu puisses faire désormais pour moi, rien de toi ne me plaira plus. » Elle semble ensuite se résigner à la fatalité de son sort. « Que peut une faible femme contre la puissance des hommes? La cime de l’arbre se sèche quand les rameaux lui sont enlevés, et la plante s’inclinera jusqu’à terre, si vous lui retranchez son tuteur. Règne donc tout à ton aise, Attila, et fais ici tout ce qu’il te plaît. » Attila crut