Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Copenhague enfin ne ressemble pas à Stockholm : si elle n’offre point l’aspect singulier et grandiose de la Venise du Nord, l’étranger y reconnaît les habitudes et l’activité du continent. La capitale du Danemark l’intéresse d’ailleurs plus que les autres villes scandinaves, parce que, en devenant par l’esprit et le luxe une cité toute moderne, elle a conservé beaucoup des habitudes joyeuses du moyen-âge. Dans cette même ville où s’est introduit, il y a quelques mois, l’illogique système du cab anglais, les compagnons de l’ancienne ghilde de la Sainte-Trinité se réunissent encore pour tirer à l’arbalète dans un jardin qu’on reconnaît à cette inscription, laquelle renferme pour des archers un bon conseil : « La ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. » La population des matelots, si nombreuse à Copenhague, occupe depuis des siècles un quartier à part, caché tout près du port, derrière les cordages et les voiles; elle y conserve des mœurs et même une langue particulières. Les saillies, les chansons enfantées ou adoptées par leurs cercles joyeux, circulant dans la ville même, y forment une sorte de littérature populaire qui ne manque pas d’originalité. « Amis! s’écrie dans un de ces chants favoris un vieux matelot qui revoit son rivage, bientôt sans doute, avec ma vieille carcasse, j’aborderai au dernier port. Enveloppez-moi alors dans mon étroit hamac avec un pan du Danebrog, et quand au dernier jour le grand bosseman appellera sur le tillac tout l’équipage, moi aussi je me tiendrai prêt pour la revue des morts. Quand on lira mon nom, je ferai deux pas en avant. Quoi! dira le capitaine, toi ici, vieux corbeau? Va-t’en, va trouver ton maître qui t’appelle. — Et je m’en irai sur l’arrière, dans la cabine du chef des chefs; j’y rencontrerai Tordenskjold, Juel et Rud[1] et celui qui n’a qu’un œil,[2]. » J’aime enfin dans Copenhague, pour tout dire, le vieux chanteur de nuit, souvenir vivant du moyen-âge, qui s’en va par les rues, son bâton ferré à la main et sa lanterne à la ceinture, chantant d’heure en heure sur un air plaintif les jolies strophes composées il y a deux cents ans et si populaires dans le Nord : « Quand la nuit couvre la terre et que le jour s’en va, c’est l’heure de nous rappeler le sombre tombeau. Éclaire, doux Jésus, chacun de nos pas...»

Si le Danemark, par l’aménité de ses mœurs et l’activité de ses grandes villes, se rapproche du continent, il n’a pas voulu toutefois laisser confondre sa nationalité dans celle de l’Allemagne, et c’est à circonscrire son propre domaine, à faire reconnaître son indépendance intellectuelle, politique et sociale qu’il travaille depuis cinquante ans. Il y a cinquante ans à peine, l’esprit danois était assujetti à

  1. Les plus célèbres des amiraux danois.
  2. Le roi Christian IV.