Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout national. Alors est né, dans la plupart des pays du nord et de l’est de l’Europe, avec le commun désir d’institutions libérales, ce sentiment de patriotisme généreux et éclairé qui est devenu le germe des littératures modernes.

C’est donc par le tableau de notre influence dans le Nord qu’il faut commencer l’histoire de la littérature moderne du Danemark. A l’exemple de la royauté française et peut-être à l’instigation même de notre ambassadeur, M. de Terlon, la royauté danoise avait pris en mains la souveraineté par la révolution de 1600, et adopté pour alliées contre une noblesse trop puissante les classes moyennes de la nation. L’avènement d’une bourgeoisie donna naissance à un esprit public, et par suite au goût des plaisirs littéraires. Comme la cour danoise avait adopté la politique de la France, de même les beaux-esprits du Danemark imitèrent nos écrivains et nos poètes : c’était l’époque où notre diplomatie, après avoir répandu, selon l’expression de M. de Lionne, « l’odeur des lis dans toute l’Allemagne, » apportait au Danemark cette langue française devenue la langue de Corneille, de Descartes, puis celle de Bossuet et de Louis XIV; elle fut partout comme un moule achevé où s’adaptèrent les littératures naissantes de l’Europe.

Holberg, qui commença ses meilleures comédies vers 1725, avait été le premier grand poète moderne du Danemark. Après avoir quelque temps vécu au hasard, il avait écrit quelques morceaux historiques, puis, comme à son insu, des satires, des poèmes héroï-comiques, et enfin ses excellentes comédies. Il s’y montra le disciple avoué des deux plus grands auteurs comiques, Plaute et Molière. A Molière surtout, il a emprunté le cadre habituel de ses pièces, ses jeux de scène ordinaires, et il reproduit, ce qui était plus difficile, sa gaieté franche et son profond comique. On retrouve dans Holberg la servante au verbe haut et au cœur sensible, le Scapin rusé dont les talens noueront l’intrigue et sauront la dénouer, même les bourgeois gentilshommes (car la révolution de 1660 avait laissé le champ libre aux parvenus), enfin les tartufes et les pédans. Toutefois chacun des deux poètes a montré une originalité parfaite à peindre sous des masques différens les mêmes ridicules. Les passions et les défauts qu’ils décrivent sont de la nature humaine, mais le style et les personnages de Holberg sont aussi danois que ceux de Molière sont français : cela seul explique la popularité de l’un et de l’autre de ces deux grands écrivains. Holberg est désormais pour le Danemark un auteur classique; ses mots les plus spirituels, ou même des expressions simples, mais comiques, tirées de son théâtre, sont devenus aujourd’hui proverbes. Faire des pots d’étain, c’est, à Copenhague, radoter sur la politique, comme fait Hermann le potier bourgmestre; raconter son voyage d’Hadersteben à Kiel, bavarder sur