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ressusciter et continuer le siècle de Louis XIV, qu’elle ne comprenait pas. Elle a cru, dans l’ode, dans la tragédie, se rattacher à l’antiquité, qu’elle n’étudiait pas, en préconisant, comme le dernier mot de la pensée humaine, le XVIIe siècle de la France, qu’elle n’avait pas étudié davantage. C’était de sa part une méprise singulière, qui, à distance, se comprend difficilement, mais qui s’explique d’elle-même dès que l’on consent à pénétrer dans les événemens d’un intérêt public, au lieu de s’en tenir aux œuvres d’un intérêt purement littéraire ; c’est la seule manière d’interpréter l’opinion de l’époque impériale sur elle-même. Témoins des grandes choses accomplies chaque jour, les poètes de cette époque croyaient naïvement continuer Corneille, parce qu’ils lui empruntaient de temps en temps quelques hémistiches : ils semaient d’allusions sans nombre leurs œuvres lyriques et dramatiques, et se persuadaient qu’en faussant l’histoire, ils accomplissaient un devoir patriotique. Le présent leur paraissait si grand, qu’ils ne croyaient pas faire injure au passé en y cherchant un miroir pour hier et pour aujourd’hui. Quel que soit donc le jugement que nous portions sur la littérature impériale, nous sommes forcé de reconnaître que le bruit des événemens a troublé à cette époque l’intelligence littéraire de la France.

La restauration, revenue avec la prétention de ressusciter le passé, a produit en littérature des théories bien différentes des théories impériales. Tandis que la monarchie parlait chaque jour des traditions de saint Louis, d’Henri IV et de Louis XIV, la poésie cherchait en Angleterre, en Allemagne, les modèles qu’elle voulait s’efforcer de reproduire. La grande tâche était la déification du moyen-âge, et, pour l’accomplissement de cette tâche, elle s’adressait à tous les coins de l’Europe. Les noms de Calderon et d’Alighieri étaient prononcés, moins haut pourtant que ceux de Shakspeare et de Goethe. Quant au Romancero, on en parlait à voix basse, comme du livre des livres, et ceux qui prétendent y avoir puisé ont prouvé surabondamment qu’ils ne le connaissaient guère. Les œuvres poétiques de la restauration laisseront sans doute une trace profonde dans l’histoire littéraire de notre pays. Toutefois l’importance de ces œuvres, envisagée d’une manière générale, tient plutôt au maniement du langage, à l’assouplissement du mètre, qu’à la nature même des pensées exprimées. Il demeure bien entendu que cette formule n’enserre ni Lamartine, ni Béranger, les deux pôles de notre poésie lyrique sous !a restauration.

Durant les dix-huit années qui suivirent la restauration, l’apothéose du moyen-âge avait beaucoup perdu de son importance, et pourtant la poésie s’obstinait dans les mêmes erremens. Il ne s’agissait plus de restaurer saint Louis ou Charlemagne, mais le mouvement était donné, et la doctrine vivait, bien que le but de la doctrine eût été emporté