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que l’esprit politique ; il perd son ressort et sa moralité ; il flotte entre toutes les influences décevantes pour aboutir à une espèce d’impuissance et de dissolution. Le terrain moral lui manque en quelque façon. Alors il n’est point douteux qu’il faut bien des conditions et du temps pour qu’il se reconstitue quelque chose dans l’ordre intellectuel, pour que le goût public se réveille, pour que les talens se groupent et se disciplinent sous l’empire d’idées et de croyances communes, pour qu’il renaisse enfin un certain souffle de vie et de fécondité. Tant que ce souffle ne se fait point sentir, il n’y a pas ce qu’on peut proprement appeler un mouvement intellectuel ; il y a des efforts individuels, des tentatives sans cohésion, des inspirations qui s’interrogent elles-mêmes, des talens qui se survivent. Ainsi fait M. de Lamartine, qui continue son Histoire de la Restauration et qui approche maintenant du terme. Il se hâte même aujourd’hui après s’être trop attardé dès le début. Un volume suffit pour parcourir toute cette période si pleine qui va de 1821 à l’avènement du roi Charles X. M. de Lamartine en arrive, non aux scènes les plus grandioses, mais aux scènes peut-être les plus instructives de la restauration, à tous les complots ourdis dans l’ombre des sociétés secrètes, aux luttes des partis, aux scissions irréparables des opinions. Il faut rendre cette justice à M. de Lamartine, qu’il montre la vérité en beaucoup de points. Ce qui ressort de plus clair de cette histoire, comme de bien d’autres, c’est que la restauration a été surtout perdue par deux factions, le libéralisme révolutionnaire et l’ultra-royalisme. Au milieu des personnages de cette époque, un de ceux qu’il serait le plus curieux d’étudier et de replacer sous son vrai jour, c’est M. de Villèle, homme fin, habile politique, qui avait sur les libéraux l’avantage d’être sincèrement monarchique, sur les royalistes l’avantage d’être de son temps, et qui, par cela même, tomba sous la conjuration des partis extrêmes. On connaît au reste la manière de M. de Lamartine. Il a l’instinct des grands courans de l’histoire ; il ressaisit merveilleusement les traits saillans d’une figure. Seulement il idéalise, il promène son imagination sur une époque, et l’exactitude, la vérité pratique de tous les jours, la précision des faits et des détails, deviennent ce qu’elles peuvent. Il existe, assure-t-on, au sujet des premiers volumes de l’Histoire de la Restauration de M. de Lamartine, une lettre du prince de Metternich qui réduit singulièrement les proportions du rôle que l’auteur attribue à M. de Talleyrand dans les scènes du congrès de Vienne, notamment à l’heure où vint tomber, comme un coup de foudre, la nouvelle du débarquement de l’empereur à Cannes. M. de Metternich a trop tenu dans ses mains les fils secrets de l’histoire pour se prêter beaucoup à l’idéalisation des choses et des hommes, même, imaginons-nous, quand il s’agit d’un diplomate ; il a trop vécu de la vie réelle pour n’avoir point fini par croire, pour n’avoir point vu que, dans les événemens les plus extraordinaires, il y a un côté plus simple, plus naturel, plus vulgaire si l’on veut. C’est ce côté plus ordinaire, dit-on, que M. de Metternich montre dans sa lettre sur les scènes d’alors. Il fait de l’histoire en déshabillé, oui, en déshabillé, car c’est véritablement ainsi, à ce qu’il semble, qu’il reçut la grande nouvelle du débarquement, et c’est ainsi de même que la reçut de lui l’empereur François, ajoutant ce simple mot : C’est à recommencer ! La coalition nouvelle était tout entière, sans que M. de Talleyrand y eût mis la main,