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menacent de prendre un caractère de plus en plus sérieux. Les Druses se sont retirés dans leurs défilés inaccessibles, et il ne paraît pas que les troupes envoyées pour les combattre aient jusqu’à présent obtenu de succès marqués. Si par hasard elles étaient battues, les suites de cette défaite seraient considérables en Syrie, où les esprits sont prêts à profiter de toutes les occasions pour créer des difficultés au gouvernement. On assure d’autre part que la situation de l’Arabie se présente sous un aspect très inquiétant. Ces célèbres Wahabites, qui, en 1803, sont parvenus à posséder les villes saintes de la Mecque et de Médine, et qui n’en furent dépouillés qu’en 1813 par les armes d’Ibrahim-Pacha, ces protestans de l’islamisme, n’ayant plus aujourd’hui rien à redouter de l’Égypte, tombée dans l’impuissance, se préparent à faire subir un nouvel assaut à la domination ottomane en Arabie. S’ils n’étaient eux-mêmes travaillés par des dissentimens intérieurs, s’ils trouvaient un chef assez puissant pour les discipliner, leur succès ne serait pas douteux, et l’empire arabe, qui n’a pu se fonder en Égypte, aurait peut-être plus de chances de réussir dans la presqu’île arabique.

Lorsqu’un état est saisi de l’esprit de vertige, tout ce qu’il entreprend semble tourner fatalement contre lui-même. Rien de plus triste, rien de plus alarmant pour l’avenir de la Turquie, que les dernières conséquences de cette malheureuse affaire de l’emprunt non ratifié. Le gouvernement turc refuse d’emprunter pour son compte, afin, dit-il, de ne point mettre le pays sous la dépendance des capitalistes de France et d’Angleterre ; puis, par une contradiction à laquelle on ne saurait trouver une seule excuse raisonnable, il demande au pacha d’Égypte des avances que celui-ci ne peut faire qu’en empruntant à son tour à l’étranger ! Pour comble, Abbas-Pacha emprunte chez la grande puissance qui depuis quelques années consacre précisément une part de son activité à prendre des hypothèques sur l’Égypte. On a rejeté l’expédient dans un cas où il n’était pas moins favorable aux intérêts politiques qu’aux intérêts matériels de l’empire ; puis on y recourt dans un cas où il ne présente que des inconvéniens pour l’indépendance de la Turquie. Il y a un an à peine que la Porte montrait les plus vives alarmes à la nouvelle de la résolution prise par Abbas-Pacha de faire construire un chemin de fer par une compagnie anglaise ; aujourd’hui on le pousse à se mettre à la merci des banquiers de Londres et à fournir au gouvernement anglais de nouveaux prétextes pour intervenir im jour dans les affaires de l’Égypte.

Il est vrai que l’Angleterre paraît être aujourd’hui dans les meilleurs termes avec la Sublime Porte, dont elle ne cesse d’entretenir les fâcheuses susceptibilités à l’égard d’autres puissances. La question de Tunis est une de celles dont le cabinet anglais se sert à cet égard avec le plus de succès à Constantinople, depuis que la santé délabrée du bey fait prévoir sa mort, déjà plusieurs fois annoncée et vraisemblablement prochaine. Cette éventualité soulève en effet une question qui tient à cœur à la Turquie et peut-être encore plus à l’Angleterre. L’hérédité, et avec elle l’indépendance du gouvernement de Tunis, vont-elles recevoir une consécration définitive ? Ou bien la régence va-t-elle rentrer dans la condition d’un pachalik ottoman, en se replaçant officiellement sous la suzeraineté de la Porte ? L’influence française, on le sait, et la sécurité de la frontière algérienne sont eu jeu dans