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prend point autrement souci que ce qu’il faut pour avoir sa part dans une succession qu’elle prévoit devoir s’ouvrir. Cela veut-il dire, puisque nous nous sommes servis de ce terme, que ce fil auquel est suspendue la paix générale doive nécessairement être tranché sur quelque point par un caprice soudain ? Il faut infiniment mieux augurer, nous le pensons, de la sagesse des gouvernemens. Il y a d’ailleurs bien des raisons de croire au maintien de la paix ; la première, c’est qu’on est trop prévenu, on se tient trop depuis longtemps sur un qui-vive perpétuel, on s’attend trop à tout peut-être, pour qu’il arrive rien. Il y a un autre motif encore, c’est que, comme nous l’avons dit quelquefois, ni les goûts ni les intérêts des peuples ne sont aux conflagrations. Il règne plutôt de toutes parts un besoin ardent de mettre les premiers biens de la civilisation au-dessus des querelles incidentes, des susceptibilités et des rivalités secondaires, des alarmes factices. Il y a en outre chez tous les gouvernemens, sans nul doute, l’intelligence de cette solidarité qui existe entre l’ordre intérieur dans chaque pays et cet ordre d’une espèce plus élevée et plus générale qu’on nomme la paix du continent ; peut-être n’est-il pas en Europe beaucoup de gouvernemens dont la sécurité intérieure n’eût à souffrir d’un ébranlement qui serait aujourd’hui infailliblement universel, et il y a bien là, ce nous semble, de quoi faire réfléchir.

Quant à la France, elle est naturellement et nécessairement partie principale dans cette situation, et ce qu’il y a de singulier, en présence des perpétuelles accusations portées contre elle, c’est que d’aucun côté ne sont venues plus d’assurances réitérées en faveur de la paix. L’autre jour encore, l’empereur renouvelait ces assurances dans son discours d’inauguration de la session législative. Il faisait mieux, il annonçait une nouvelle réduction de vingt mille hommes dans l’armée, ce qui porte à cinquante mille le chiffre de la réduction opérée dans les forces militaires françaises depuis 1852. Il serait cependant étrange que la France fût la seule à confirmer par des actes ses déclarations pacifiques. Tandis que l’Angleterre semble faire beaucoup de bruit des arméniens des autres, uniquement peut-être pour accroître les siens, tandis que la Russie et l’Autriche font sentir le poids de leur prépondérance en Turquie, il serait singulier que la France fût la seule à ne cacher aucune ambition sous ses paroles. Ce n’est point que, le jour où certaines questions se poseraient en Europe, la France n’eût un rôle à jouer ; quel que soit le gouvernement qui soit à sa tête, il y a pour elle au-dessus de tout des intérêts permanens d’influence, de grandeur, de sécurité même, et le gouvernement actuel ne l’ignore pas plus que ceux qui l’ont précédé. Mais ces questions, — qu’elles s’élèvent au cœur de l’Europe ou en Turquie, — on ne peut se dissimuler que la paix du monde y est attachée, et il serait difficile de comprendre, de la part des cabinets, une habileté et une prudence qui consisteraient à les faire naître et à imposer ainsi à notre pays une action immédiate. N’y a-t-il pas aujourd’hui pour tous les gouvernemens une conduite plus naturelle, plus juste, plus conforme aux besoins de la civilisation et qui se réduit tout simplement à permettre à l’Europe de se rasseoir, de se remettre des catastrophes qui ont troublé la société universelle jusque dans ses fondemens, de retrouver ses forces pour les appliquer, non à la guerre, mais au progrès moral et intellectuel, au développement de l’industrie, du commerce et de toutes les ressources du génie contemporain ? De quelque manière qu’on