Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1052

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il compare aux capitaines des bateaux à vapeur du Mississipi ; en fait de témérité et d’imprudence, c’est tout dire. « Ici, le premier venu, un gâcheur de plâtre un peu plus hardi que ses camarades se fait entrepreneur, et prend de sa propre autorité le titre d’architecte ; il soumissionne au plus bas prix possible des travaux qu’il exécute avec des matériaux d’une qualité inférieure ; les ouvriers qu’il a engagés élèvent des murs qui sont aussi minces que possible, jettent à travers quelques poutres qui tiennent tant bien que mal, y clouent au hasard quelques châssis de portes et fenêtres, surmontent tout cet échafaudage sans aplomb d’un toit dont on n’a calculé ni la pesanteur ni la puissance, et voilà une maison qui s’écroule. » Hélas ! en ce moment la ville est en deuil par suite d’un désastre douloureux qu’un peu de précaution eût fait éviter. Dans une école où s’assemblent plusieurs centaines d’enfans, une maîtresse qui se trouvait mal a demandé un verre d’eau ; ce mot d’eau a fait naître parmi les enfans la crainte d’un incendie, aussitôt plusieurs voix ont crié : Au feu ! et la panique est devenue générale. Les enfans se sont précipités vers l’escalier ; la rampe, que, malgré quelques réclamations, on avait négligé d’affermir, a cédé, et une épouvantable catastrophe a suivi. Les malheureux enfans sont tombés les uns sur les autres, et se sont entassés à une hauteur de plusieurs pieds ; cent ont péri, et cinquante ont été blessés. Puisse ce terrible événement servir de leçon !

Il est rare que la journée se passe à New-York sans qu’un incendie éclate quelque part. On m’en donne plusieurs raisons : d’abord pas assez de surveillance de la police, ensuite le bas prix du combustible, qui multiplie les feux ; la manière dont les maisons sont bâties, qui les rend très inflammables, et enfin, — ceci est fâcheux à dire, mais paraît vrai, — les assurances. J’ai entendu un magistrat soutenir que, pour diminuer le nombre des maisons brûlées, on devrait supprimer les assurances sur les maisons. Il faut dire aussi qu’il y a un zèle extrême dans le peuple pour aller éteindre les incendies. Dans toutes les villes sont organisés des corps de pompiers volontaires {firemen) : ce sont des hommes très intrépides, quelquefois un peu turbulens.

Rien ne montre mieux la différence d’un gouvernement où le peuple est tout et d’un gouvernement où le peuple n’est rien que l’empressement général de ces pompiers volontaires et de tous les autres citoyens, comparé à l’indifférence que la population romaine montre en pareille circonstance, et dont M. Bunsen me racontait à Rome, où il était alors ministre de Prusse, un singulier exemple. Un soir, se promenant aux environs du Forum, objet de ses savantes recherches, il vit que le feu avait pris dans une rue pleine de granges à foin, et qui, pour cette raison, porte le nom de rue des Fenili M. Bunsen avisa en même temps un homme à sa fenêtre, qui regardait