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le monde. Quel était le sens précis de cette redoutable apparition ? Était-ce l’empire avec ses conquêtes, ou la république avec ses échafauds ? Rejetait-elle la France vers 1792 ou vers 1804 ? Nul ne l’aurait pu dire ; mais ce qu’elle signifiait trop clairement pour le peuple, qui, prêt à mourir, se drapait dans ses couleurs retrouvées, c’était l’exclusion de la dynastie dont ses poètes, ses orateurs et ses maîtres lui avaient enseigné si longtemps à confondre le retour avec le triomphe de l’étranger. L’incompatibilité de la maison de Bourbon et du drapeau tricolore était, en juillet 1830, pour les combattans des faubourgs, une sorte de dogme indiscutable contre lequel se seraient brisés tous les raisonnemens et tous les efforts. L’apparition des trois couleurs ôtait toutes leurs chances aux combinaisons intermédiaires. En transformant la résistance légale en agression révolutionnaire, elle rendait impossible la royauté d’un jeune prince contraint de porter au front le signe fatal à sa race. Qui ne voit point cela ne comprend rien à ces secrètes harmonies des choses, qui, dans leur indéfinissable puissance, constituent les lois mêmes de l’histoire. Lorsqu’on impute à crime aux fondateurs de la monarchie de 1830 la violation du principe d’hérédité monarchique, on oublie très gratuitement quelle force dominait Paris dans la fiévreuse semaine qui commença par la prise du Louvre et s’acheva par l’acclamation du Palais-Royal. On perd le souvenir de ces journées sanglantes et de ces nuits dont la canonnade et le tocsin interrompaient seuls les longs silences. Quel esprit était alors pleinement maître de lui-même et pouvait dire avec certitude d’où viendrait le salut ? Où était le pouvoir au milieu de tant d’élémens confondus ? Était-il sous les uniformes de la garde nationale ou sous les haillons populaires ? Les manifestations de l’Hôtel-de-Ville ne faisaient-elles point pâlir alors celles du Palais-Bourbon, et les 219 députés qui avaient l’air d’y disposer de la couronne de France n’étaient-ils pas eux-mêmes à la disposition des clubs et de l’émeute ? Quelle puissance égalait en ces jours-là celle du vieux général devenu le porte-étendard de la république, et qu’entouraient de jeunes séides suppléant au nombre par l’audace ? Ne fallait-il pas compter avec Lafayette ? était-il possible de proclamer un gouvernement sans son aveu et sans celui des hommes dont il se croyait le chef, quoiqu’il n’en fût que l’esclave ? Or croit-on de bonne foi que M. de Lafayette eût abdiqué sa dictature devant le jeune représentant de la branche aînée des Bourbons, et que les hommes de l’Hôtel-de-Ville eussent subi la royauté légitime, lorsqu’il fallut prendre tant de peine pour les amener à accepter une royauté élective intronisée sous l’étiquette de la meilleure des républiques et sous le couvert des souvenirs de 92 ? Si le duc d’Orléans fut choisi par les uns comme petit-fils d’Henri IV, il fut