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II

La monarchie de 1830 n’est sortie d’aucun principe : elle n’appartient pas plus à la théorie de la souveraineté du peuple qu’à celle de la tradition héréditaire ; ce fut une œuvre de transaction entre des combattans qui se redoutaient les uns les autres. La royauté nouvelle eut à la fois les avantages et les inconvéniens d’un compromis entre les classes bourgeoises, qui avaient commencé la révolution, et les classes populaires, qui l’avaient achevée : ce compromis, par sa nature même, laissait toutes les questions incertaines. Si une monarchie entourée d’institutions républicaines était quelque chose d’assez difficile à définir, il faut bien reconnaître que cette formule était l’expression strictement exacte des faits qui avaient présidé à l’érection de ce pouvoir hybride, royauté singulière qui méditait le raffermissement de la paix du monde au chant de la Marseillaise, et qui choisissait M. le prince de Talleyrand pour la représenter au dehors, tandis qu’elle était encore gardée dans son palais par des ouvriers en carmagnole.

Tous les contrastes du présent, toutes les incertitudes de l’avenir venaient se résumer dans le premier cabinet formé par le nouveau roi et dans l’administration bigarrée organisée au lendemain de la victoire moins pour en assurer les résultats que pour en partager les profits. À côté d’hommes préparés au gouvernement par la pratique antérieure des affaires, et qui aspiraient à la sévère application des principes constitutionnels, se groupaient des débris vivans de l’empire tout pleins de ses dédains pour les théories parlementaires, et pour lesquels la seule mission de la révolution de juillet était de laver la honte des traités de 1815, de rendre à la France la situation prépondérante que la coalition lui avait arrachée. Entre de jeunes esprits dévoués à la liberté constitutionnelle, à la paix, et ces vieux adorateurs des « jeux de la force et du hasard, » se groupait une masse nombreuse et bruyante qui dissimulait sous la confuse abondance de formules empruntées à la lecture des journaux l’étique pauvreté de ses pensées et l’amertume de ses petites jalousies. Nourrie des doctrines de la Minerve, inspirée par les chansons de Béranger, elle avait longtemps pourfendu jésuites et missionnaires au nom de la tolérance, et confondu dans une admiration moins logique qu’exaltée les souvenirs de 91 et ceux de 1812, la dévotion de la Bastille et celle de la colonne Vendôme. Pour cette école-là, toute la politique consistait à faire échec au pouvoir, qui était à ses yeux un mal nécessaire dans les sociétés constituées, à peu près comme la mort dans l’économie animale. Il fallait donc s’engager avec lui le